Après La Tribune de Genève, le quotidien helvétique Le Temps publie ce matin un long article ainsi qu’un éditorial saignant sous la plume d’Arnaud Robert. Évoquant les conditions de travail de plus en plus ubuesques imposées aux photojournalistes qui couvrent les festivals de musique (notamment à Montreux et au Paléo ; mais la situation empire tout autant en France), l’auteur achève son texte par ce vibrant appel : « (…) médias et photographes ont un intérêt commun à défendre : pouvoir rapporter librement une histoire de la musique ». Et en effet, il s’agit bien de ça. De notre mémoire. Et de rien d’autre.
Il était temps que les journaux d’information générale s’emparent de ce débat (l’hebdomadaire Télérama s’y est également mis cet été sous la plume de Cécilia Sanchez). D’autant que ledit débat est (hélas) déjà fort ancien.
Dans une exposition de 1998 intitulée Jazz(s), mes amours, mes voyages, je légendais ainsi l’image qui illustre ce billet : « Terri Lyne Carrington. Jazz à Vienne, France, 1990. Un tout petit coin de parasol. La belle « batteuse » était venue s’y relaxer après son sound check avec Stan Getz. Demain, de telles photos seront-elles encore réalisables ? Ces scènes intimistes, vécues en toute amitié avec les musiciens, sont en effet de plus en plus difficiles à saisir en raison de la volonté hégémonique des tour managers de contrôler l’image de leur artiste. Dans dix ans, que restera-t-il de la mémoire photographique du jazz si de telles pratiques devaient se développer ? » Dix-sept ans après, je vous le confirme, la mémoire photographique du jazz est bel et bien en lambeaux…
En 1996, Jean-Paul Boutellier, fondateur et alors patron de Jazz à Vienne, avait célébré les quinze ans du festival qu’il avait créé en publiant Jazz, la photographie, un beau livre collectif, merveilleusement commenté par les textes sensibles de l’ami journaliste Robert Latxague et illustré avec les images de vingt-six photographes (dont de grands noms comme Jean-Marc Birraux, Bertrand Desprez, Philippe Etheldrede, Dany Gignoux, Guy Le Querrec, Jean-Pierre Leloir, Christian Rose et consorts). Amis du jazz, feuilletez-le. Aujourd’hui encore ! On le trouve à acheter d’occasion et aussi dans ces merveilleux services publics que sont les bibliothèques. Feuilletez-le et, avec nous, jetez vous aussi votre pavé dans la mare : sur plus de deux cents photos publiées dans cet ouvrage, près des deux tiers ne seraient aujourd’hui tout simplement plus réalisables.
CQFD.
Jazz, ta mémoire fout l’camp ! Cry me a River…
Texte et photo : Pascal Kober
25 juillet 2015
Chronique parue dans le numéro 673, daté automne 2015, de la revue Jazz Hot.
Mise à jour du 18 juillet 2015 : l’excellent quotidien québécois Le Devoir se fait également l’écho de ce débat de l’autre côté de l’Atlantique. C’est à lire ici (sous la plume d’Isabelle Paré) et là (en 2017, sous la plume d’Isabelle Porter).
Mise à jour du 11 août 2022 : en France, le Syndicat national des journalistes (SNJ) vient de publier une lettre ouverte à Rima Abdul Malak, nouvelle ministre de la Culture, sur ce sujet des dérives décidément de plus en plus graves des organisateurs de festivals face à la liberté de la presse. C’est à lire ici ou là en format pdf.
Merci pour cette alerte plus que nécessaire !
Bien d’accord ; pour avoir été prise à parti par des spectateurs, alors même que je suis très discrète avec mon Olympus OMD5 (j’ai des collègues qui shootent bien plus que moi…) ; pour avoir été également plus que mal accueillie par le festival Jazz sous les pommiers alors que j’avais mon badge (beaucoup de spectacles limités ; ou alors il fallait acheter ses places, soit neuf sur douze), je me dis qu’il y a effectivement un gros souci…
L’an passé, couvrant Jazz à Vienne, je me suis vu poursuivi dans les allées et interdit de photographier dans le théâtre antique et au sommet par un petit jeune zélé du service de contrôle/surveillance, au motif que seuls les trois premiers morceaux sont prévus pour cela ! Règle que je respecte bien sûr comme tous mes confrères lorsque nous shootons en avant-scène. Je précise que j’étais accrédité et mon badge bien visible…
Il y a donc des règles que vous ne respectez pas ?
Salut
Vaste sujet… Il y a du pour et du contre. Spectateur, j’ai souvent fulminé contre les sans-gênes qui passent et repassent devant la scène pour faire des contre-plongées assez dévalorisantes pour l’artiste qui peut avoir l’envie légitime de contrôler son image. De plus, les rafales des reflex sont très perturbantes. Comme photographe, j’ai fait le choix d’un boitier très discret et d’un positionnement qui ne dérange personne. Et du coup, personne ne me poursuit ou ne m’engueule. Cette histoire de réserver les trois premières chansons aux photos est une arnaque, car au final on peut se demander si les gens en scène jouent pour le public ou les photographes. Si j’osais une comparaison gastronomique, je vais au restaurant faire un reportage, mais je n’ai que les hors d’œuvre à montrer. Est-ce bien raisonnable ? Quant aux photos fournies par la prod’ pour illustrer un article sur un concert, jamais ! Un concert, c’est un jour donné, dans un lieu précis. Et l’image doit être en accord.
Oui, cela devient insupportable. Il nous faut faire une pétition. Voyons par l’intermédiaire de l’UPP ou de la SAIF
Permettez-moi de vous dire que je partage vos ressentis à 100 %. Enfin il serait de bon ton pour les organisateurs de festivals d’imposer aux musiciens et managers la mise en mémoire photographique des orchestres et artistes programmés. Bien sûr, l’artiste peut et a le droit de contrôler son image diffusée. Penser aussi aux archives toutes logiques pour tel ou tel organisateur. A lui de décider et d’autoriser la qualité et le nombre de photographes afin de ne perturber ni musicien, ni public. Je reconnais, la situation est délicate mais est-il acceptable et compréhensible de limiter l’acte photographique à un, deux ou trois morceaux ? Je ne le pense pas.