« Des amis de toute la vie » comme on dit ici, en terre africaine, à quelques encablures du détroit de Gibraltar. La formule résume joliment un festival comme on aimerait en fréquenter plus souvent. Prenez le métier d’un Pierre Boussaguet, ajoutez-y la fraîcheur d’une Lisa Cat-Berro et de ses complices du groupe Ayoka, la note bleue orientale d’un Wajdi Cherif et une facétie (mais quel souffleur !) d’un Daniel Huck et vous obtenez les plus beaux bœufs qui se puissent imaginer. À Tanger, ces impromptus de rêve naissent tous les soirs, en club, après les concerts en plein air dans les jardins de la Mandoubia, et ne s’achèvent qu’aux aurores. Ailleurs, dans des manifestations autrement plus installées, ça fait longtemps qu’on a oublié, pour cause de business, d’inculture ou de négligence, jusqu’à l’existence même de ces délicieux instants éphémères. C’est que pour susciter de tels moments de grâce, il faut aussi aimer le jazz, ce qui est incontestablement le cas de Philippe Lorin, Français installé au Maroc, qui tient ce festival à bout de bras depuis six ans maintenant avec une équipe de bénévoles passionnés. Bref, vous aurez compris que les jam sessions enfiévrées de Tanjazz méritent à elles seules la traversée de la Méditerranée. Sans compter, bien sûr, le chaleureux accueil des Tangérois. Et une dédicace toute particulière à Abdellah El Gourd, compagnon de Randy Weston (qui vécut longtemps ici), qui nous a si gentiment reçu et de façon impromptue, autour d’un thé à la menthe dans sa maison de la medina pour nous faire goûter à la musique gnawa.
Côté programmation, rien à redire. L’affiche est modeste mais elle ne retient que des musiciens de qualité en explorant, sur six jours, les multiples territoires d’un jazz très international. Excentrique et musicalement exigeant pour le Cubain Omar Sosa (que l’on aimerait revoir en piano solo), ancré dans les racines du blues pour les Franco-Américains Nina van Horn et Jeff Zima ou encore résolument jazz pour Yutaka Shiina, un remarquable pianiste japonais, qui fut de la Jazz Machine d’Elvin Jones et dont il faudra reparler. Sans oublier les belles prestations de la formation du guitariste sétois Louis Martinez (avec l’excellent saxophoniste Jean-Michel Cabrol) ou des « messagers du jazz » réunis autour du trompettiste américain Ronald Baker sur un répertoire hard bop superbement arrangé par Jean-Jacques Taïb. Les pays voisins du Maroc ne sont pas oubliés puisqu’outre le Tunisien Wajdi Cherif, Philippe Lorin avait invité le Cairo jazz band, bâti autour de Salah Ragab, vieil ami de Sun Ra, ainsi que le délicat quartet du pianiste marocain Tawfik Ouldammar. Le tout emporté, jour après jour, par la puissance des joli(e)s percussionnistes de la Batucada Batala du Brésilien Giba Goncalves qui ont fait un tabac chaque matin dans les rues de Tanger. Il faut avoir vu les sourires sur les visages des gamins à la sortie des écoles pour mesurer la générosité d’un événement qui fait de l’ouverture sur la ville un point fort de son programme. Longue vie et bon vent…
Pascal Kober
Galerie d’images sur l’édition 2009
Festival de jazz de Tanger, sixième édition de Tanjazz, du 24 au 29 mai 2005. Chronique publiée dans le numéro 622, daté juillet-août 2005, de la revue Jazz Hot.
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