Ils entament leur concert par un thème fétiche de Miles Davis joué en trio. All blues marque l’attachement de The Ritz à une certaine forme de jazz. Mais introduire le quartet vocal par une prestation du trio d’instrumentistes est aussi une manière de mettre en avant ceux qui sont trop souvent relégués en fond de scène. The Ritz n’est pas une simple réunion de vocalistes, soutenus rythmiquement par n’importe quelle formation. Oh certes, les membres du trio (Jeff Auger au piano, Marty Ballou à la basse, et Les Harris Jr. à la batterie) sont seulement d’honnêtes improvisateurs, mais cette façon de faire en dit long sur l’ambiance qui règne au sein du groupe : « The Ritz est une formation très structurée. Pendant le show, la section rythmique doit rester très attentive à ce qu’elle joue, et être constamment à l’écoute du chant. Nos premiers titres représentent donc une chance de jouer plus librement. »
Enfin du neuf sous le soleil du jazz vocal ? On pourrait le penser tant le concert du groupe a enthousiasmé le public lors du dernier festival de Vienne. Un public qui était d’abord venu pour l’orchestre de Count Basie, qui n’avait jamais entendu parler de The Ritz (c’était leur première apparition en France), et qui a pourtant réagi au quart de tour. Il faut dire que le spectacle est bien huilé, et qu’il ne laisse pas une seconde de répit. Américain, en somme.
On a évidemment fait référence à la prestation, deux ans avant, dans le même lieu, de Manhattan Transfer. Un autre concert alors très remarqué. Une association d’idées légitime puisque les deux formations puisent dans le même registre, celui du style vocalese. Et Sharon Harris, principale chanteuse soliste du groupe, qui écrit, compose et arrange la plupart des thèmes, ne s’en défend d’ailleurs pas : « Nous avons été influencés par les mêmes musiciens que Manhattan Transfer, mais pas directement par eux. En fait, nous avons été impressionné par la manière qu’ils ont de swinguer. Trop de groupes vocaux ont perdu aujourd’hui cette dimension essentielle du jazz. » Déclaration en forme de ligne de force.
The Ritz entend bien ne pas se laisser aller à « variétiser » sa production. Et ce, malgré les chants de sirène des producteurs : « Notre maison de disque nous demande parfois de faire de la pop music, mais nous résistons. Nous préférons jouer du jazz. C’est mieux que de reprendre un titre de Madonna, non ? » De fait, les quatre enregistrements du groupe laissent la part belle à des arrangements de standards (All the things you are, Basically blues, Invitation, It never entered my mind, Music in the air, My foolish heart, Rythm-a-ning, Scrapple from the apple), et surtout à des compositions originales fort intéressantes.
Il aura fallu attendre leur passage à Vienne et au New Morning cet été, pour trouver les enregistrements de The Ritz dans les bacs des disquaires. Pourtant, la formation existe depuis 1982, et compte déjà six albums à son actif : Steppin’out et Born to bop (1984 et 1985, sur le label Pausa), The Ritz et Movin’up (1987 et 1988, chez Denon), ainsi que Christmas Album et High flying, mis en boîte, mais non encore parus. Faudra-t-il attendre leur retour en France pour que ces enregistrements soient enfin tous distribués ?
Après un tel accueil, il semblerait également nécessaire d’envisager une tournée plus cossue. Les musiciens sont partants : « Nous espérions bien que les réactions seraient bonnes, mais nous ne nous attendions pas à un public aussi chaleureux. C’est d’autant plus intéressant que personne ne nous connaissait. Nous étions là comme des petits bébés. Et ça nous donne évidemment envie de revenir. Mais qui paiera la note ? »
Parent pauvre du jazz dans les stratégies de production des grandes compagnies, le vocal n’émeut pas les businessmen. Selon Sharon Harris, ce n’est pas seulement une question d’argent : « Le jazz est déjà peu considéré parce qu’on dit qu’il n’est pas rentable, mais pour un groupe de jazz vocal, c’est encore pire, car c’est un style très particulier et très marqué. Il y a des chanteurs, des chanteuses, le public voit leurs visages, ne les oublie pas, et écoute surtout les textes, alors qu’un groupe instrumental peut changer plus facilement de formation sans que cela nuise à son image. »
Malgré les difficultés qu’il y a à faire exister et à pérenniser un tel groupe, The Ritz tourne, et tourne bien, tentant, soir après soir, d’affiner un show un peu trop parfait. Instiller quelques gouttes de folie et d’improvisation dans leur spectacle leur permettrait de revendiquer encore plus cet héritage du jazz vocal qui, du trio Hendricks aux Double Six, n’a pas suscité tant de vocations. Une raison de plus pour ne pas bouder ce plaisir rare.
Pascal Kober
Portrait publié dans le numéro 469, daté décembre 1989 de la revue Jazz Hot