France : Jazz à Vannes

« Il fait beau et chaud.  » Ce n’est pas une contrepèterie et chaque matin au point presse, la formule sonne comme un exorcisme sur les lèvres de Jean-Philippe Breton, directeur, Tourangeau, du festival. C’est que les clichés météorologiques ont la vie dure. D’ailleurs, ici, même le ciel s’y conforme : souvent grisouilleux dans la journée, mais à peine si quelques gouttes ont tenté de gâcher le rappel de l’une des soirées. À Jazz à Vannes, on a bien prévu une solution de repli. Mais nul ne l’aime, cette salle sans âme, trop éloignée des animations du (très beau) centre-ville historique. Chaque soir, Jean-Philippe Breton a donc pris le risque. Et chaque soir, il a eu raison. Il faut dire que c’est tout de même un autre plaisir que d’aller à l’hôtel de Limur, belle bâtisse du XVIIe située entre cour et jardin, sous le tilleul centenaire.

Seul Eric Bibb n’a pas eu cette chance cette année. Les prévisions étaient trop incertaines. Mais le New-yorkais a rapidement fait oublier ce petit contretemps. Seul en scène pour une bonne partie du concert, il emporte immédiatement son auditoire avec un blues acoustique littéralement inouï dont les accents flirtent parfois avec la musique country dans un étrange jeu de guitare ancré sur les basses et des arpèges ciselés. En seconde partie, la voix d’Otis Taylor ne fera, en revanche, pas l’unanimité chez les spectateurs. Dommage car cet autre blues, presque psychédélique, mérite l’attention pour sa façon de réinterpréter le genre avec une instrumentation inhabituelle (deux violoncelles dont un à cinq cordes) et des nappes mélodiques qui rappellent parfois étrangement le… folklore celtique !

La voix, encore elle, était très présente à Vannes cette année, notamment avec les prestations de Sara Lazarus qui réussit l’exploit de faire scatter (et plutôt bien) le public et celle d’Anna Lys, excellemment accompagnée et qui révèle un joli brin de talent sur un répertoire de standards peu pratiqués. Rare d’ailleurs, il faut le noter, que les festivals laissent leur chance, sur leur grande scène, aux musiciens du cru. C’était le cas ici et nul doute qu’assurer, brillamment, la première partie d’Eliane Elias a dû impressionner et surtout «  aguerrir » la jeune chanteuse originaire de Vannes. La pianiste brésilienne, quant à elle, restera dans les classiques, ceux du grand Jobim, et si l’on sent sur cette scène un tel plaisir de jouer, notamment chez le jeune guitariste Gustavo Saiani, c’est que justement, il y a là des années de métier. Presque trop si l’on en croit ses réflexions aux photographes durant le sound-check : « Avez-vous fait assez des photos ? » Assez de photos ! Comme si la photo était un sport ! Et la belle Eliane, a-t-elle fait assez de notes, elle ? Il faudra un jour que je m’emporte sur ces dérives marketing de la scène jazz quant à la (juste) place de la photographie et, incidemment, de la mémoire dudit jazz…

Un seul musicien, dans cette édition du festival, avait de bonnes raisons de brider les hommes d’image durant son concert. Abdullah Ibrahim a joué ce soir-là avec tant de délicatesse et si peu de volume sonore que c’eût été crime que d’entendre un déclic là où il n’y avait que musique. Sa musique. Toutefois difficile d’approche pour qui ne réussit pas à entrer dans l’univers du pianiste tout au long du seul et unique thème déployé pendant le concert. Quant aux trois premières… minutes (!) absurdement concédées aux photographes par Bojan Z (ou par son agent ?), ils confinent au ridicule. Pour le principe, mais aussi parce que la musique du pianiste, passionnante de bout en bout, repose, pour l’essentiel sur l’énergie. Mais passons…

Passons encore sur la dernière soirée, festive comme il se doit avec deux formations latines plutôt éloignée de l’idiome jazz pour revenir un instant sur un concert magnifique : celui du Mingus Big Band, dont Sue, la veuve du contrebassiste, entretient toujours la flamme et avec quel énergie, elle aussi ! Cet orchestre est un festival à lui tout seul : solistes époustouflants (Frank Lacy, bien sûr, mais aussi Craig Handy et tant d’autres), discours radical et arrangements aux petits oignons (dûs notamment au bassiste moscovite Boris Kozlov) qui révèlent d’autres facettes de thèmes emblématiques comme Fables of Phœbus ou Orange was the color of her dress (en hommage au saxophoniste John Stubblefield récemment disparu) dont on pensait qu’ils appartenaient à l’histoire. Réponse : oui, ils sont bien historiques mais aussi tellement révélateurs de l’aujourd’hui du jazz.

Reste le off, petit bémol de cette attachante manifestation. Car si la programmation de la scène principale, le cadre de l’hôtel de Limur, la ville et la proximité des magnifiques paysages du golfe du Morbihan ne peuvent que séduire le voyageur et l’amateur de jazz, on aimerait aussi prolonger plus facilement le plaisir autour d’un verre et de quelques notes bleues à l’issue des concerts. Ah, j’allais oublier : avez-vous entendu parler de Didier Squiban ? Sûrement, si vous êtes Breton puisque ce diable de pianiste qui habite parfois sur l’île de Molène, non loin d’Ouessant, a vendu, selon ses propres dires, plus de cent mille disques ! Ici, on le connaît surtout pour ses interprétations de musiques traditionnelles celtiques mais l’homme taquine aussi le swing et sa création en trio, à Vannes, avec le très lyrique contrebassiste Simon Mary et le percussionniste nantais Jean Chevalier fut un instant de pur bonheur. Mais ça, c’est une autre histoire…

Pascal Kober

Miam

Le Petit bulot, place de la poissonnerie, à Vannes. Pour ses huîtres et son agréable verre de blanc dans une ambiance bistrot.

La Table de Jeanne, sur la même place. Pour ses préparations justes et goûteuses.

La Pierre à grill, en face de l’hôtel de Limur, à Vannes. Pour les connaisseurs : araignée, poire et merlan. Rarement vous aurez mangé d’aussi bonnes viandes rouges.

Le Poisson d’avril, au Guilvinec (Finistère). Pour ses concerts de jazz (l’ami Daniel Huck, cet été) et sa cuisine raffinée.

Chronique publiée dans le numéro 625, daté novembre 2005 de la revue Jazz Hot.

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