Suède : Stockholm Jazz Festival

Il y aurait plus de cinq cents big bands en Suède ! Un dans chaque bourgade. Ou presque. Le chiffre n’est pas avéré mais vu la vitalité de la scène locale, on est tenté de l’accréditer. À Stockholm, dont le festival de jazz est pourtant dirigé par un Américain, plus de la moitié des formations sont issues des pays scandinaves. Et pas pour y faire de la figuration : lorsque le tromboniste Nils Landgren se produit, c’est devant plus de dix mille spectateurs. Il faut dire que la capitale suédoise fait bel accueil à l’art : musées en pagaille, concerts gratuits dans les nombreux parcs de la cité, expositions en extérieur et une myriade de structures (galeries photos, centre des arts, maison de la musique) qui irriguent la vie culturelle de la ville. La ville, justement, l’une des plus belles du monde, qui se déploie entre un grand lac et un gigantesque archipel composé de milliers d’îlots.

Sur l’un deux, Skeppsholmen, à quelques encablures d’un parc de sculptures contemporaines et du musée de l’Extrême-Orient, sont ancrés plusieurs bateaux historiques dont, un peu plus loin, l’époustouflant Vasa, navire de guerre du XVIIe siècle miraculeusement sauvé des eaux du port dans les années 1960. C’est là que bat le cœur du festival sur une grande scène située en plein air face à la mer. Un site complété par les belles salles de la Concerthuset dans le centre ville moderne ainsi que par quelques clubs qui ouvrent leur portes after hours. Le tout dans une géographie qui se parcourt à pied (ou en bateau !), comme il se doit dans une cité qui proscrit autant que faire se peut l’usage de l’automobile.

À la Concerthuset, donc, les concerts plus intimistes et le jazz scandinave. Ulf Wakenius, tout d’abord, guitariste vedette en Suède depuis qu’il accompagne Oscar Peterson. À l’écouter ici, on comprend pourquoi le pianiste l’a choisi. D’un bout à l’autre, une grande leçon de swing et d’harmonie où l’agilité technique reste toujours au service de la mélodie, en particulier dans ses relectures de standards en solo intégral (What are you doing the rest of your life). Mêmes appréciations pour le trompettiste Magnus Broo dans un registre plus proche de celui de McCoy Tyner ou encore pour le trio, très lyrique, du pianiste Lars Jansson. Il y avait là, en somme, la crème des jazzmen nordiques, y compris du côté des sidemen.

L’ouverture du festival se déroulait au stade olympique avec l’une des rares apparitions de Stevie Wonder en Europe cet été. Un show en demi-teinte car si le pianiste reste une formidable machine à groove, il était ici secondé par des musiciens (et notamment un second clavier superfétatoire) pas du tout à sa hauteur. On se plaît alors à rêver d’une prestation solo qui donnerait une autre couleur aux Song for my father et autres Giant steps entendus ce soir-là.

Sur l’île de Skeppsholmen, les festivités démarrent à 17 heures pour s’achever fort tard dans une nuit qui semble toujours vouloir embrasser à la fois aube et crépuscule. Indéniablement l’un des charmes, septentrionaux (et ils sont nombreux…), de ce doux festival. L’affiche de cet espace est plus éclectique. Résolument contemporaine au musée d’art moderne qui jouxte les lieux : on a pu y écouter les rêveries du pianiste canadien Jon Ballantyne sur des images (issues des collections du musée) de William Klein et autres Doisneau. Crescendo, en revanche (au moins en ce qui concerne le volume sonore), sur la scène en plein air avec du jazz dans l’après-midi et des musiques plus dansantes (Bonnie Rait, Van Morrison, Randy Brecker, Angie Stone, etc.) à mesure qu’avance la soirée. Le tout sur la base de sets très courts : généralement à peine une heure et sans aucune balance, ce qui confine à l’exploit eu égard à la qualité de la sonorisation de l’ensemble.

Ne jetons pas la pierre aux organisateurs car, en dépit de ces stars dont la musique est parfois fort éloignée du jazz, il reste bien de très nombreuses perles dans cette programmation. Au fil des jours, l’excellent ténor suédois Karl Martin Almqvist, l’étonnant mariage entre la note bleue du pianiste Ian McGregor Smith et les harmonies japonaises du groupe Shikandaza de Kyoto, Carla Cook qui a bien failli chanter avec les mouettes du port de Stockholm comme Ella l’avait fait en 1964 avec les cigales d’Antibes ou encore le groupe très mainstream de l’organiste Kevin Dean où officie, et fort joliment, le… patron du festival, John Nugent, au saxophone.

Mes coups de cœur de cette édition vont toutefois à trois formations nordiques. D’abord, celle de la chanteuse Rigmor Gustafsson, une voix singulière qui ancre ses propres compositions dans un jazz orthodoxe tout en se permettant de voluptueuses incursions vers des thèmes inattendus comme Fever ou Ne me quitte pas. Jacky Terrasson ne s’y est pas trompé qui vient tout juste d’enregistrer un disque en duo avec elle. Dans un registre proche, on a un peu rapidement catalogué Viktoria Tolstoy en «  produit marketing » en raison de la communication réalisée par son label discographique (Act) autour d’un joli minois. Rien ne sert pourtant de « surproduire » une chanteuse pour lui donner des airs de Diana Krall quand les qualités intrinsèques de la musicienne suffisent à notre bonheur d’amateur de jazz. Enfin, on retiendra Kvalda, le quartet finlandais qui a gagné le concours des jeunes orchestres scandinaves. Un groupe qui swingue tout en sachant conserver ce son de l’au-delà du cercle polaire avec une vocaliste qui improvise remarquablement en longue notes tenues.

Côté clubs, pour finir, il faut évoquer le remarquable travail de longue haleine du Fasching pour faire exister le jazz toute l’année dans la capitale suédoise. Deux disques « faits maison » ont été enregistrés ici avec des musiciens comme Scott Hamilton et Red Mitchell et la salle, étonnante car toute en longueur, accueillait cet été le groupe du guitariste Kurt Rosenwinkel avec (excusez du peu !) Aaron Goldberg, Larry Grenadier, Ali Jackson et Joshua Redman. Au bar du Scandic enfin, c’est la verve de l’excellente chanteuse LaGaylia Frazier qui, sur un répertoire très funky, a emporté l’adhésion du public en même temps que les dernières bières de festivaliers et festivalières, Suédois de l’île de Ven, mais aussi Russes et Américains, qui se sont promis d’en reboire une de concert l’année prochaine. Isn’t she lovely ? Mais ça, c’est une autre histoire…

Pascal Kober

21e Stockholm Jazz Festival, du 17 au 24 juillet 2004. Chronique publiée dans le numéro 615, daté novembre 2004 de la revue Jazz Hot.

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