Viktor Dvoskin live in Grenoble

Viktor Dvoskin, Moscou, Russie, 1991. Zakouska au menu. Ce lundi de février, il doit faire – 40 °C sur la place Rouge. La table du contrebassiste Viktor Dvoskin est à la fête pour me recevoir. Une étape d’une longue amitié et un bel entretien avec lui paru en mars 1992 dans la revue Jazz Hot avec mon grand reportage sur le jazz en Russie. Le pays entamait tout juste sa perestroïka et la note bleue russe me semblait encore exotique. Il faut toujours se méfier des idées reçues…

Est/Ouest. Graphie imagée de nos anciennes tensions. Avec cette barre de fraction comme une frontière. Métallique. Les typographes, amoureux de la belle lettre, lui ont toujours préféré le trait d’union. Mais qui s’est jamais préoccupé de l’opinion des hommes de l’art ?

Trait d’union

Est-Ouest. Moscou-Grenoble. Une liaison mise en musique par Viktor Dvoskin et ses complices. Lundi 19 mars 1990, au Ciel, l’histoire est déjà en route. Tu le sais bien, Viktor, toi qui, malicieux, nous présentait ainsi Hope and joy, ce thème du pianiste et compositeur moscovite Igor Brill : « Il me semble que ce titre est dans l’air du temps. »

Jazz à l’Est. J’ai su, ce jour-là, quelle musique se cachait derrière des mots si anodins. Car cette association suscite la curiosité. Et le bonheur de la découverte. L’âme slave est sensible à la note bleue. Mieux, elle la détourne. Non pour se l’approprier (le blues se chante aussi dans les taxis moscovites), mais pour la dessiner à sa manière. Avec, toujours, cette tonalité expressionniste qui lui sied si parfaitement. Combien de fois, derrière la table de mixage, ai-je écouté, encore et encore, Poljuško-pole (Plaine, ma plaine ? Même métamorphosée par la pulsation ternaire, cette ballade traditionnelle russe m’évoque trop ton pays, Victor, notre seconde rencontre à Moscou et le formidable foisonnement du jazz soviétique.

Viktor Dvoskin quartet

Ici, tu dis tes racines. Ailleurs, tu tends vers l’universel. Comme s’il fallait marquer la réalité d’un trait d’union qui a toujours existé. Certes, il nous semble aujourd’hui bien unilatéral : nous ignorions jusqu’à votre existence et vous nous citez McCoy Tyner, John Coltrane ou Niels-Henning Orsted Pedersen. Nous ne savions rien de vous, et tu nous dévoiles tes lectures de Johnny Carisi et Bill Evans. Les hagiographes qualifieront ce répertoire d’orthodoxe. N’en prends surtout pas ombrage. Ils auront simplement oublié la qualité du jeu, la richesse de l’interprétation, ce son si chaleureux, un phrasé unique, et surtout, surtout, cette générosité. Car dans ton jazz, Viktor, il y a le don. Les Russes savent la valeur, sacrée, du mot « cadeau  ».

Tu donnes et tu te donnes. Il fallait donc garder trace de ce merveilleux présent. Cette première ouverture Est-Ouest est une invitation à poursuivre la rencontre. En octobre dernier, j’ai jeté un kopeck dans la Moskva. Comme une promesse de retour en Union soviétique. Et je sais, au fond, que tu as dû faire de même ici. Pour contribuer à consolider ce fragile trait d’union.

Salut collègue,

Pascal Kober
Samedi 19 janvier 1991

Viktor Dvoskin : contrebasse
Viktor Epaneshnikov : batterie
Sergej Gurbeloshvili : saxophone soprano et ténor
Leo Kushnir : piano

Psychological compatibility (Viktor Dvoskin)
Hope and joy (Igor Brill)
Time remembered (Bill Evans)
Poljuško-pole (Lev Knipper, arrangement : Viktor Dvoskin)
Song to my mother (Leonid Tchijik)
Israel (Johnny Carisi)
Sergej’s blues (Sergej Gurbeloshvili)

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