France : Grenoble Jazz Festival

Stefano Bollani. © 2003 Photo : Pascal Kober

Au creux de ces montagnes, le jazz est rarement là où on l’attend et c’est l’un des mérites de ce festival : surprendre. Prenez les pianistes. Luc Plouton en improvisateur très fin ou Stefano Bollani, en remarquable mélodiste, la citation facile, fougueux et lyrique dans sa manière de faire chanter les touches noires et blanches. Du jazz comme on l’adore, proposé, le premier, un dimanche après-midi dans un salon presque intimiste du château de Vizille, le second dans la semaine à midi ! Tous deux à entrée libre. Le public ne s’y trompe pas. Salle comble partout. Idem pour la soirée de clôture. En attendant la réouverture (en 2004 !) de la maison de la Culture dorénavant pilotée par Michel Orier, ancien patron de celle d’Amiens (et de Label Bleu), il n’existe plus de salle digne de ce nom à Grenoble pour accueillir un tel événement. Qu’à cela ne tienne, Jacques Panisset, directeur du festival, imagine une Rhône-Alpes Jazz Parade qui démarre l’après-midi dans la rue avec ces fous du Grotorkestre. L’amateur peu curieux fait la fine bouche : il y aurait déjà tant d’occasions d’écouter des régionaux… Grave erreur ! Deux des plus beaux concerts de cette édition se sont déroulés là. Celui du pianiste lyonnais Éric Téruel, un vrai bonheur de swing servi par une merveilleuse rythmique, mais aussi celui du duo de la chanteuse Nadia Lamarche et du pianiste Bob Revel sur un répertoire essentiellement composé de standards fort habilement détournés. Surprise : la veille, Brad Mehldau était en haut de l’affiche. Entre la retenue de l’Américain et le plaisir des autres, je n’hésite pas une seconde. Mais ce n’est pas ce que le programme pouvait laisser croire… Autre Américain de passage : James Carter. On en attendait beaucoup après le superbe hommage à Django qu’il avait donné ici-même il y a deux ans (voir le numéro 581 de Jazz Hot). Patatras. Le plus beau son de saxophone a renoué avec ses défauts de jeunesse : trop de notes et trop peu de musique dans ces deux heures trente d’exhibitionnisme. Surprise : le jazz, il fallait aller le chercher chez le Romain Stefano di Battista, dans les belles harmonies andalouses de Jean-Marie Machado, chez l’étonnant François Dumont d’Ayot, collectionneur de saxophones de son état (et excellent improvisateur), dans le quartet Nord de Jean-Luc Ponthieux, voire dans le troublant blues… africain du Marocain Majid Bekkas (Texier aurait apprécié…).

Parmi les bonheurs de cette édition, deux autres perles. À la demande du festival, Louis Sclavis avait invité le rappeur Dgiz. L’alliance contre-nature pouvait tourner au pire. Elle s’est révélée fructueuse. Paradoxalement, pas tant grâce au clarinettiste lyonnais qu’en raison de la démesure de certains de ses acolytes, Médéric Collignon jouant notamment à merveille le rôle de chaînon manquant entre deux univers musicaux a priori très éloignés. Une soirée déroutante et jubilatoire. Le sextet vocal Les Grandes Gueules, quant à lui, ne crie ni ne hurle. Expérimentations toutes en dentelles sur de subtiles harmonies, qualité de son époustouflante (grain de la voix, timbres, souffle, harmoniques, dynamique) servie par une technique rare qui sait s’effacer, justesse à toute épreuve, la scène jazz européenne a trouvé son Take 6. Cul béni en moins, les textes de cette formation faisant davantage référence (et c’est tant mieux) au grand Boby Lapointe. Reste à travailler un peu une mise en scène et en lumières plus libérée et à intégrer un ou deux standards. Lonely Woman d’Ornette Coleman leur irait si bien…

Enfin, Passages de l’alpe devait être l’un des temps forts de cette édition. Il le fut. Pour être tout à fait honnête, l’auteur de ces lignes, chef d’orchestre d’une revue, L’Alpe, consacrée aux cultures et au patrimoines de l’Europe alpine, doit annoncer qu’il a participé (certes modestement) à l’élaboration de ces trois journées censées mettre sur le devant de la scène des formations dont l’expression est fondée sur les musiques d’aujourd’hui (et accessoirement le jazz) mais aussi sur une appropriation d’un patrimoine alpin. Pari raté avec le Johnny Staccato Liberation Music Orchestra dont la création devait évoquer la traversée des Alpes par Hannibal. Musique intéressante mais on n’a pas vu un seul éléphant… Pari réussi en revanche par le saxophoniste Wolfgang Puschnig réinventant (et avec quel brio dans l’écriture) les chants traditionnels de sa province autrichienne de Carinthie. Pari réussi aussi avec Stimmhorn, surprenant duo helvétique mêlant l’accordéon, le bandonéon, la trompette, le cor des Alpes et la voix dans une prestation virtuose et littéralement inouïe. Les spectateurs sont sortis bouleversés de la chapelle baroque du Musée dauphinois dont les ors avaient rarement connu émotion aussi intense. Pari réussi enfin avec les très beaux concerts du duo Bugge Wesseltoft – Sidsel Endresen et du quartet danois Tys Tys. Si l’on veut bien toutefois considérer que la Scandinavie relève des Alpes d’ailleurs. Mais ça, c’est une autre histoire…

Pascal Kober

31e Grenoble Jazz Festival, du 14 au 29 mars 2003. Chronique publiée dans le numéro 601, daté juin 2003 de la revue Jazz Hot.

 

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