Metz : pas belle, ma ville ?

Magnifique travail de Yann Arthus-Bertrand, réalisé tout récemment en vidéo aérienne, sur Metz (ma ville natale) en commande pour le centre Pompidou dans le cadre de son exposition temporaire intitulée Vues d’en haut (jusqu’au 7 octobre 2013) qui montre comment les vues aériennes ont pu tournebouler le regard des artistes depuis le milieu du XIXe siècle.

On y voit tout autant les jardins ouvriers que les immeubles des cités, les petits cabanons au bord des lacs que les monuments les plus attendus, les terrasses des bistrots que les hauts-fourneaux de l’U4. Le tout dans un registre plus graphique que documentaire.

Hormis la musique de la première partie, inutilement grandiloquente, je me retrouve entièrement dans ces images, comme si le photographe avait su capter, en quelques courts instants, toute l’âme de cette ville si attachante où j’ai vécu tant de belles choses…

Ça va sûrement faire grincer quelques dents du côté des acteurs culturels tout autant que chez les photographes de voir un saltimbanque accéder ainsi aux cimaises d’un musée d’art contemporain. Et c’est tant mieux…

Ça dure vingt minutes et ça se regarde en cliquant là.

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Kaori Ito, Chloé Lévy et Marcus Hageman

Quelques images du filage des deux pièces données par la danseuse japonaise Kaori Ito à L’Hexagone de Meylan (Isère). La première en solo (chorégraphie et interprétation de Kaori Ito sur une musique enregistrée de Guillaume Perret). La seconde en trio, avec la voix de Chloé Lévy et le violoncelle de Marcus Hagemann (Deux cordes, une voix ; une composition musicale de Chloé Lévy sur des textes du poète allemand Rainer Maria Rilke). La séance s’est poursuivie au musée de Grenoble où Kaori Ito et Chloé Lévy ont improvisé autour de cinq pièces de la collection permanente choisies par la danseuse et évoquant la féminité.

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Le site Internet de Kaori Ito.
Le site Internet de Chloé Lévy.
Le site Internet de Marcus Hagemann.
Le site Internet de L’Hexagone de Meylan.
Le site Internet du musée de Grenoble.
Le site Internet du Pacifique (merci spécial à Philippe Quoturel).

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Katia et Marielle Labèque : rock & baroque

Katia et Marielle Labeque Gstaad 5539La dernière fois que je suis allé écouter les sœurs Labèque, deux des plus belles pianistes classiques de la planète, c’était le 17  juillet 2011, entre… scies à ruban et stocks de bois (!) de l’atelier de construction des chalets Matti, dans le cadre du Menuhin Festival, à Gstaad, en Suisse. Moment de pur bonheur que de lire tant de joie sur leurs visages pendant toute la durée du concert. Ces deux-là ne savent rien faire comme tout le monde (voir notamment les productions discographiques de leur label KML) et c’est pour ça qu’on les aime. Hier, dans sa collection Empreintes, présentée par Annick Cojean, la chaîne de télévision France 5 diffusait Rock & baroque, un magnifique documentaire réalisé par Fabrice Ferrari et Constance Lagarde. Émotion, écoute, justesse de ton, complicité réelle avec les artistes, touchantes images d’archives, tout y est bon. Rarement vu un film aussi intelligemment produit sur des musiciens !

Rediffusion ce dimanche 28 avril 2013 à 07 h 44 et jeudi 9 mai 2013 à 00 h 15.

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Les Alpes de Doisneau : prolongation

Formidable succès pour cette exposition du musée de l’Ancien Évêché, à Grenoble, à laquelle j’ai apporté ma contribution. Inaugurée en novembre 2012, elle a déjà reçu plus de 60 000 visiteurs, tous ravis de découvrir tant de facettes méconnues du travail de Robert Doisneau, au travers de ces 120 photographies rassemblant nombre d’images inédites.

L’exposition devait s’achever demain, dimanche 14 avril ; elle sera finalement exceptionnellement prolongée jusqu’au dimanche 1er septembre 2013 afin de pouvoir également accueillir tous les visiteurs de passage dans les Alpes cet été. Et avant de s’envoler pour… le Japon !

Des animations particulières seront programmées les samedi 18 et dimanche 19 mai 2013 à l’occasion de la Nuit des musées (Musées en fête) ainsi que durant les Nocturnes au musée (tous les vendredis de l’été entre le 5 juillet et le 16 août 2013.

Article plus détaillé sur l’exposition et le catalogue en cliquant ici.

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Matthias Schriefl : Six, Alps & Jazz

Visiblement, si l’on en croit son portrait (en… peau de vache !) publié à l’intérieur du livret, le jeune trompettiste allemand Matthias Schriefl a grandi dans les alpages ! Ou presque : sa petite ville natale de Kempten n’est en effet située qu’à quelques encablures des sommets bavarois et autrichiens. Nul doute en tout cas, à l’écoute de ce CD auto-proclamé young german jazz, que sa musique est bel et bien estampillée alpine. À la vérité, peu de jazz ici, si ce n’est peut-être dans la liberté d’expression qu’il permet aux musiciens qui s’en emparent aujourd’hui. Mais beaucoup de détournements (et souvent jubilatoires) des mélodies traditionnelles de l’Allemagne méridionale et de ses montagnes. Matthias Schriefl use d’ailleurs d’instruments autochtones comme le cor (des Alpes) ou d’expressions locales comme le yodel pour bâtir, et de fort belle écriture, ce répertoire très finement arrangé pour les riches timbres des nombreux instruments à vent de son sextet. À défaut de jazz, une jolie curiosité qui permet de mesurer jusqu’à quel point les jeunes musiciens européens, dûment formés dans les Conservatoires, peuvent réinterpréter leur patrimoine.

Pascal Kober

Musiciens  : Matthias Schriefl (tp, flh, etc.), Johannes Bär (tb, flh, etc.), Peter Heidl (flh, ts, etc.), Florian Trübsbach (as, cl, etc.), Heiko Bidmon (cl, fl, etc.), Gregor Bürger (bs, cl, etc.) + sept invités précisés dans le livret.
Thèmes : Langenwanger Intro, S´Deandl Vom Wintergrea, Am Schnackar Biichl, Andachtsjodler, Ländlesgruaß, Steinegger`s Allerlei, Les Alpes Vues De Paris , S´isch Mer Alles Oi Ding, Langenwanger Reprise, Bald Ischs Halb Simme, Der Vorarlberger Problembär, Punzenjodler, Luschtig, Luschtig, Schlofiade.
Enregistré  : en juillet et septembre 2011 à Bonn.
Durée  : 59’39″.
Référence  : Act 9670-2.

Chronique publiée dans le numéro 60 de la revue L’Alpe.

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Nabucco à Grenoble

Quelques petites images (de famille ;-) des répétitions du Nabucco que va donner l’Orchestre symphonique universitaire de Grenoble, sous la direction de Patrick Souillot, du 15 au 19 mars au Summum à Grenoble. Informations en cliquant ici.

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Elina Duni : Matanë Malit

Duni ElinaDerrière la ligne bleue des Alpes, pour Elina Duni, il y eut d’abord l’exil. Un pays, l’Albanie, fracassé par tant d’années de dictature. Un grand-père écrivain bâillonné par le régime, une maman elle-même romancière, un papa acteur. Et finalement, le départ de la famille pour la Suisse en 1992. Elina a onze ans. Elle chante. Dès son adolesence, flirte avec les standards du jazz et les Léo Ferré et Serge Gainsbourg du French songbook. Premier CD (Baresha) en 2008. Elle y interprète plusieurs chansons françaises dont une très troublante «  Javanaise ». À peine une pointe d’accent. Juste de quoi faire fondre. Sa rencontre avec le pianiste Colin Vallon va tout changer. Et si elle revenait à la musique de son pays natal ? En 2009, au festival de jazz de Grenoble, son chant fait mouche : générosité, force et délicatesse. Avec ce troisième CD, Matanë Malit (Au-delà de la montagne, donc), enregistré pour le label allemand ECM, elle épure encore ce trait musical qu’elle dessine pour relier improvisation et mélodies traditionnelles albanaises. Sur des lignes harmoniques d’une sobriété bouleversante (trois accords, pas un de plus, comme dans le blues, pour le magnifique «  Kjani trima »), Elina Duni nous conte, dans cette belle langue, des amours pastorales aussi bien que des histoires de bergers et de résistants anti-fascistes. Et réussit, par la grâce d’un trio aux interprétations d’une rare intelligence, à ne pas emprunter les sentiers tant dévoyés d’une world music abâtardie. Elina Duni est une passe-montagne. Qui se découvre de belle façon.

Pascal Kober

Musiciens  : Elina Duni (voix), Colin Vallon (piano), Patrice Moret (basse), Norbert Pfammatter (batterie).
Thèmes : Ka Një Mot, Kjani Trima, Kur Të Kujtosh, Vajzë e Valëve, Unë Ty Moj, Erë Pranverore, Çelo Mezani, Ra Kambana, Çobankat, Kristal, U Rrit Vasha, Mine Peza.
Enregistré  : en février 2012 à Pernes-les-Fontaines.
Durée  : 53’42″.
Référence  : ECM 2277 370 6457 (Universal).

Chronique publiée dans le numéro 59, daté hiver 2013, de la revue L’Alpe.


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Les Alpes de Doisneau

À propos d’une réalisation à laquelle j’ai apporté ma contribution (exposition au musée de l’Ancien Évêché, à Grenoble, du 16 novembre 2012 au 14 avril 2013).

L’EXPOSITION

« Le Rêve du petit Michel ». Photo : Robert Doisneau

C’est un Robert Doisneau comme on ne l’a jamais vu que propose cette exposition originale qui suit le fil (rouge) d’un parcours sur les sentiers buissonniers de la montagne. Au-delà du grand photographe humaniste que chacun connaît aujourd’hui et qui aurait eu cent ans cette année. Au-delà de son fameux Baiser de l’hôtel de ville, réalisé en 1950 (mais qui ne l’a rendu célèbre qu’à l’approche des années 1980). Au delà, aussi, de tant d’autres images tendres que Doisneau a pu consacrer au petit peuple de la banlieue parisienne. Car avant de devenir une icône de la photographie de la seconde moitié du XXe siècle, Doisneau fut également, au fond, un OS de l’image. Un ouvrier photographe qui mettait du cœur, son cœur, à l’ouvrage. Dans les Alpes comme ailleurs, il a ainsi œuvré (et avec quel talent !) dans des domaines aussi divers que l’industrie, le reportage social, le photojournalisme, la mode, la publicité, l’illustration, la photo « ethnologique », la prise de vues en studio, mais aussi l’humour (bien sûr !) et la photo de… famille !

De 1936, date de ses premières images alpines saisies entre amis en Haute-Savoie jusqu’à son reportage dédié en 1967 aux ouvrières des usines grenobloises à la veille des Jeux olympiques, en passant par les petits secrets de ses séjours hivernaux à Laffrey, en Isère, Doisneau n’a cessé d’arpenter les montagnes. Non pour leurs paysages sublimes qui auraient pu l’envoûter, à l’instar d’un Ansel Adams, d’un Shiro Shirahata ou d’un Pierre Tairraz, mais bien pour le terrain de jeu grandeur nature qui lui était ainsi offert. Durant une trentaine d’années, Doisneau a pu expérimenter autant de façon de mettre les Alpes en scène (plutôt qu’en valeur) pour les intégrer à son propre imaginaire. En somme, ces Alpes-là sont d’abord de Doisneau.

La patte de l’artiste : épatante !

LE CATALOGUE

Les Alpes de Doisneau, un beau livre de 160 pages paru aux éditions Glénat, reprend l’essentiel des images de Robert Doisneau présentées dans l’exposition en les accompagnant d’articles de fond qui permettent de contextualiser leur réalisation. Avec les contributions de Francine Deroudille (fille de Robert Doisneau), Jean-Claude Duclos (conservateur en chef du patrimoine), Pascal Kober (journaliste et photographe), Isabelle Lazier (directrice du musée de l’Ancien Évêché) et Vladimir Vasak (grand reporter à Arte). Le numéro 58, daté automne 2012, de la revue L’Alpe consacre par ailleurs un portfolio de plusieurs pages aux vis-à-vis troublants entre le regard de Robert Doisneau et celui porté par les ethnologues sur le village et les habitants de Saint-Véran.

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Belgique : Anvers Jazz Middelheim

Toots Thielemans, 90 ans, Jazz Middelheim Anvers 2012, photo Pascal Kober

Toots Thielemans, 90 ans, Jazz Middelheim Anvers 2012, photo Pascal Kober

Joyeux anniversaire, cher Toots ! Le plus grand harmoniciste de la planète fête ses 90 ans. Et c’est bonheur que de revoir Toots Thielemans en scène, musicalement très à son aise devant sept mille personnes, toutes debout pour saluer les dernières notes d’un What a wonderful world qui me met les larmes aux yeux. Sûr qu’un monde selon Toots serait en belle harmonie ! L’homme joue. Il joue bien. Et se joue de tout. De l’histoire du jazz en greffant habilement un Summertime au célèbre riff d’introduction de All Blues. Ou de son public qui sifflote Bluesette à l’unisson avec lui. Une seule date cet été à son carnet de bal : Anvers. Pour un festival dont il est le parrain depuis 1981. Ici, Toots est chez lui, à quelques encablures de Bruxelles, sa ville natale. Et dans un port, le deuxième d’Europe après Rotterdam, qui a vu des millions d’émigrants se rendre aux Amériques via la fameuse ligne transatlantique de la Red Star (l’étoile rouge !) au tournant des XIXe et XXe siècle. Cette ouverture sur le monde confère à la cité flamande un esprit un tantinet frondeur dont on ne soupçonne pas toutes les richesses. Ici a vécu au XVIe siècle, l’un des premiers imprimeurs au monde, Christophe Plantin, à qui est dédié un musée. Ici est le MAS, un autre musée, de société, remarquable tant par son architecture que par les parcours proposés pour mieux comprendre la ville. Ici sont marquées au fil des ruelles les activités maritimes et la vigueur des échanges culturels. Ici se vit la douceur d’un centre historique ancré sur les rives de l’Escaut.

Jazz Middelheim Anvers 2012, ambiance, photo Pascal Kober

Jazz Middelheim Anvers 2012, ambiance, photo Pascal Kober

C’est à la périphérie que se déroule un festival qui a des accents de petit Marciac. Même chapiteau posé dans la verdure, le gazon du stade remplacé par l’herbe du jardin de sculptures du musée Middelheim, mêmes stands de produits régionaux, la bière d’Anvers remplaçant le tariquet. Même ambiance bon enfant et une programmation permettant aux musiciens belges de jouer face à un public venu nombreux pour les têtes d’affiches. On a ainsi pu écouter le guitariste Philip Catherine, dont le jeu est toujours aussi lyrique, avec Larry Coryell (notamment dans une merveilleuse version en duo de Insensatez, le thème de Tom Jobim). Mais aussi deux expériences musicales audacieuses, la première, très originale, même si éloignée de l’idiome jazz, par le trompettiste Eric Vloeimans avec un ensemble… baroque (!) ; la seconde de l’accordéoniste Tuur Florizoone qui a composé une pièce rendant hommage, à l’occasion des cinquante ans de l’indépendance du Congo, aux enfants abandonnés nés d’unions mixtes («  les bâtards de la colonie », pour reprendre le titre du livre de Kathleen Ghequière et Sibo Kanobana). Ici, nul exotisme de pacotille (Tuur est lui-même né en Afrique) mais un juste choix de musiciens (et notamment Tutu Puoane, magistrale au chant) et de thèmes fortement ancrés dans les rythmes du continent. Une belle découverte.

Stefano Bollani et Hamilton de Holanda, Jazz Middelheim Anvers 2012, photo Pascal Kober

Stefano Bollani et Hamilton de Holanda, Jazz Middelheim Anvers 2012, photo Pascal Kober

À noter enfin la prestation très complice et tout en sourires du pianiste Stefano Bollani avec Hamilton de Holanda au bandolim, célébrant le génie (harmonique puis rythmique) des grands compositeurs brésiliens en enchaînant des thèmes comme Luiza (de Jobim) ou Laura (de Gismonti), avant de finir sur un Happy birthday pour Toots. Et last but not least, le concert de ce festival : avec le batteur Amir Brelser et le pianiste Omri Mor, le contrebassiste Avishaï Cohen invente un nouvel art du trio. Puissance de jeu, comme d’intensité musicale, littéralement extraordinaire, énergie et virtuosité, aisance très ludique en scène (ah, ses chorégraphies avec la «  grand-mère » !), sens du partage et de l’œuvre commune, tout cela chante (et de belle façon) et ne suscite jamais le moindre ennui. Au point que ce trio-là sait même séduire ces deux jeunes filles assises à mes côtés qui se seraient presque mises à danser. Comme pour mieux démontrer que le jazz peut être à la fois exigeant et festif. À l’image de ce festival, en somme.

Pascal Kober

Chronique du festival Jazz Middelheim (Anvers, Belgique ; du 16 au 19 août 2012) publiée dans le numéro 661, daté automne 2012 de la revue Jazz Hot. Site Internet : www.jazzmiddelheim.be

Miam !
Antwerpen Proeft et la Bollekesfeest. En août et toujours en plein-air, un salon du goût, un marché des produits du terroir et une fête de la bière (la De Koninck, locale, qui se déguste aussi sur les nombreux stands du festival).
Boulevard Leopold. Les petits-déjeuners amoureusement mitonnés par Martin et Patricia Willems y sont succulents. Mais surtout, cette jolie maison d’hôtes, nichée non loin du quartier des diamantaires et (en bus) du site de Jazz Middelheim, est atypique pour sa décoration intérieure. Passion des propriétaires pour les antiquités oblige, elle transporte le voyageur un siècle en arrière et transforme ce minuscule hôtel particulier (seulement trois chambres et deux appartements) en un véritable cabinet de curiosité. Une expérience singulière !
+32 486 67 5838
Site Internet : www.boulevard-leopold.be

 

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Pour ceux qui (n’)aiment (pas) le jazz

À écouter tous les soirs, pendant l’édition 2012 du festival de jazz de Vienne, une petite chronique radio aux alentours de 19 h 20, jusqu’au vendredi 13 juillet, dans l’émission de Matthieu Soldano sur France Bleu Isère, France Bleu Pays de Savoie et France Bleu Drôme-Ardèche.

Par ordre d’apparition à l’écran noir de mes nuits blanches :
• le jour où elle ne restera pas dans son lit douillet (Sandra Nkaké),
• une certaine chanson qui nous ressemble (Bobby McFerrin et Chick Corea),
• une mélodie anglaise du XVIe siècle qui reste sur toutes les lèvres (McCoy Tyner),
• un mois de septembre sur lequel nous avons tous dansé (Earth, wind and fire),
• un merveilleux traditionnel de Noël polonais (Pat Metheny),
• Charles Aznavour qui n’aime guère qu’elle se laisse aller (Eddy Louiss),
• l’Ave Maria selon Al Di Meola et ses notes parcimonieuses (si, si…),
• un voyage au Mississippi (Magic Slim),
les moulins de mon cœur chapardés à Michel Legrand (Dianne Reeves),
• la belle leçon de vie de la non moins belle Melody (Gardot),
• la bataille de Jericho de mister Laurie et docteur House
• et, pour finir en beauté, la belle vie de dame Simone rêvant à Tony Bennett.

Sans oublier quelques-unes de mes « crooneries » habituelles autour de ces si jolies mélodies que tout le monde sait fredonner sous sa douche.

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Un été (sri-lankais)

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Un portrait radio du renifleur du temps

Michèle Caron a réalisé cet entretien pour France Bleu Isère. À écouter ici.

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1910-2010 : dans le sillage de Jorge Chavez

Tout juste un siècle après la première traversée des Alpes par l’aviateur péruvien Jorge Chavez en 1910, la rédaction de L’Alpe a refait ce parcours, mémorable à plus d’un titre, avec, dans le rôle du pilote, Alain Belmont, l’auteur de l’article lui-même. Quand le vécu rejoint l’histoire dans une belle aventure pleine d’émotions. Un reportage à lire dans le numéro 52 de la revue (La voie des airs), daté printemps 2011 et dont voici quelques images inédites brillamment légendées par Dominique Vulliamy, rédactrice en chef adjointe de L’Alpe.

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Vienna Art Orchestra : la fin d’un rêve

Triste nouvelle : cet été 2010, Mathias Rüegg, créateur et cheville ouvrière du Vienna Art Orchestra (VAO), annonçait sur son site Internet qu’il mettait définitivement un terme à cette magnifique expérience musicale : «  Le concert du 9 juillet au Musikforum de Viktring (Autriche), était le dernier du Vienna Art Orchestra. Un sous-financement chronique, une diminution importante de la demande en provenance des pays qui forment le cœur de l’économie de l’orchestre (Autriche et Allemagne principalement) et la crise financière dans les pays comme l’Italie, l’Espagne, la France et les pays de l’Est m’ont amené à prendre cette décision. Chercher où se situent les responsabilités n’a pas de sens. Après trente-trois années passées au plus haut niveau d’exigence, je tiens à remercier tous ceux qui ont contribué à l’existence du VAO. D’abord le public, mais bien sûr aussi les mécènes, institutionnels et privés, les nombreux journalistes spécialisés, enfin et surtout les musiciens talentueux qui se sont souvent surpassés dans leur travail avec le VAO. Je regrette profondément que l’orchestre actuel ainsi que mes créations soient contraints de s’arrêter alors que nous sommes à notre plus haut niveau. J’accepte toutefois les réalités telles qu’elles sont aujourd’hui. »

Cette belle aventure aura donc duré trente-trois ans. Trente-trois ans d’intenses collaborations avec tout ce que la scène européenne du jazz recèle comme fortes personnalités. Depuis le contrebassiste américano-suisse Heiri Känzig jusqu’au corniste russe Arkady Shilkloper, en passant par la chanteuse italienne Anna Lauvergnac ou les deux Wolfgang (Muthspiel, le guitariste, et Puschnig, le saxophoniste), le Vienna Art Orchestra aura vu passer du monde. Des musiciens qui comptent aujourd’hui et qui, tous, portent un regard sans œillères sur le jazz contemporain. Sans oublier, selon les projets, des invités exceptionnels comme Ray Anderson, Dee Dee Bridgewater, Art Farmer, Shirley Horn ou encore Joe Lovano.

Jazz Hot a rencontré Mathias Rüegg à deux reprises. En 2002 (numéro 592, daté juillet-août) et en 2007 (numéro 639, daté mai), respectivement pour le vingt-cinquième et le trentième anniversaire de son Vienna Art Orchestra. À cinq ans d’intervalle, deux longs entretiens avec Jérôme Partage. Et toujours la même passion et la même profondeur dans sa façon de dire le jazz, de dire son jazz. Cette fois, c’est hélas pour évoquer un « game over » que nous le rencontrons. Avec l’espoir de voir une si belle énergie rebondir, ici ou ailleurs, dans de monde du jazz. Résistons.

* *
*

L’arrêt brutal du Vienna Art Orchestra a-t-il été précédé de signes avant-coureurs qui auraient permis de mesurer l’ampleur des difficultés rencontrées aujourd’hui ?

J’ai pris cette décision, seul, le 1er avril dernier car la responsabilité économique de la survie du Vienna Art Orchestra n’a toujours dépendu que de moi. Mais pour des raisons stratégiques, personne, pas même les musiciens avec qui j’ai l’habitude de travailler, n’en a rien su avant que je ne l’annonce juste après notre dernier concert. Inutile de vous dire que mes amis musiciens n’ont pas été ravis d’apprendre une telle nouvelle…

Avant de prendre cette décision, as-tu envisagé d’autres réponses à ce problème économique ?

En matière de financement, j’ai vraiment tout essayé. Durant les derniers mois, plusieurs appels au secours ont été lancés, un peu en coulisses, pour ne pas alarmer nos proches. Les responsables culturels ou politiques connaissaient donc très bien notre situation. Mais d’un autre côté, le manque d’argent ne représente que l’un des versants du problème. Je ne peux pas forcer les organisateurs de concerts à inviter le Vienna Art Orchestra. Or, l’esprit même de cet orchestre existe aussi en raison de cette riche vie commune, musicale et extra-musicale, que nous développons lors de nos tournées. Ne faire exister l’orchestre que lors de concerts à Vienne ne m’intéressait pas.

À quels facteurs attribues-tu l’exceptionnelle longévité de l’orchestre ?

En toute immodestie, à mon action, tout simplement ! Durant les six dernières années, j’étais le seul à m’occuper de l’organisation. Je n’avais même plus une secrétaire pour m’aider dans l’administration. C’est le prix qu’il faut accepter de payer pour rester indépendant. Mais je n’ai jamais abandonné…

Un big band comme le Vienna Art Orchestra peut-il encore exister aujourd’hui en Europe ?

Tout dépend du type d’activité que l’on souhaite développer. Il existe probablement en Europe des centaines de Monday Night Orchestras (NDLR : des big bands qui se réunissent une fois par semaine, toujours dans le même club et avec le même répertoire, comme au Village Vanguard, dans les années 1960, à New York). Mais les orchestres qui vont vraiment sur la route avec un répertoire de création sont extrêmement rares car cela coûte très cher d’organiser et de financer une tournée pour un big band.

Et ailleurs dans le monde ?

Aucune idée. Tout ne dépend que de la motivation et de l’énergie d’un créateur obsédé ;-)

Même aux États-Unis ?

Surtout aux USA ! Excepté pour le Lincoln Orchestra, la situation des big bands en Amérique est vraiment nulle !

Le Vienna Art Orchestra pourrait-il renaître de ses cendres en s’intitulant demain Paris Art Orchestra ou Philadelphia Art Orchestra ?

Je n’ai aucun don de voyance pour prévoir l’avenir mais si tel devait être le cas demain, je crois que le projet s’appellerait plutôt Moscow Art Orchestra ou Dubaï Art Orchestra ;-)

Pourquoi pas ? Après tout, on construit bien une antenne du musée du Louvre à Abou Dabi…

Oui, ça, je sais bien… Mais pour le jazz, il n’existe aucune offre de ce type…

Envisagerais-tu de délocaliser l’orchestre ailleurs dans le monde ? En Chine, peut-être ?

Non. La direction que j’avais prise avec Third Dream m’impose de faire appel à un certain type de musicien très particulier que je ne peux trouver, en dehors des États-Unis, que dans les pays de l’Est et en Autriche.

Quelles ont été les réactions dans le milieu du jazz ?

Il y a eu peu de réactions. Quelques journalistes spécialisés m’ont manifesté leur soutien. Beaucoup d’amateurs et de musiciens ont réagi, mais rien du côté des organisateurs de concerts, des directeurs de festivals ou des tourneurs. Quant à la presse généraliste, elle a parlé de la fin du Vienna Art Orchestra, sur tous les continents, de Bombay à Moscou, de l’Arizona à Sidney, de Zagreb à Londres et de Paris à Vienne. Cette presse-là préfère toujours annoncer les mauvaises nouvelles…

Comment évalues-tu la situation du marché du jazz en Europe ?

Difficile à dire. Je crois que nous ne mesurerons réellement les effets de la crise qu’à partir de l’année prochaine. Mais si le monde de la culture prend modèle sur l’Italie, l’Espagne ou l’Allemagne, il y a plutôt de quoi être pessimiste ! Sauf peut-être pour quelques rares grands projets financés par les États. Mais dans notre milieu du jazz, dans toutes les petites structures et les associations, souvent financées par des collectivités locales, on peut s’attendre à des années de vaches très maigres. En Autriche comme ailleurs.

Cette situation a-t-elle beaucoup évolué durant les dix dernières années ?

Les organisateurs de concerts et les directeurs de festivals prennent bien moins de risques qu’auparavant. Et l’intérêt pour les grandes formations s’est par ailleurs nettement amoindri. À la différence de la musique classique où les grands orchestres jouent un rôle important.

Ressens-tu aussi ces difficultés au club de jazz Porgy & Bess que tu as ouvert à Vienne ?

Je ne suis plus impliqué dans la gestion du club, mais Porgy & Bess va bien. En revanche, les différents prix du Hans Koller Preis et de l’European JazzPrize (plus de 50 000 euros offerts chaque année à des musiciens, des réalisations ou des projets issus de vingt-trois pays européens) ont également été remis pour la dernière fois cette année. Pas pour des raisons économiques mais hélas surtout en raison de la stupidité des responsables politiques de la mairie de Vienne qui n’ont pas compris la valeur de ce prix et qui préfèrent aujourd’hui décerner leur propre prix dans l’anonymat d’une salle municipale.

Le Vienna Art Orchestra a aussi été une pépinière de talents où se sont rencontrés beaucoup de musiciens issu d’univers très différents. Ce big band n’avait-il pas, au fond, une utilité publique en terme de formation ?

Pour que ce travail soit soutenu par les institutions, encore faudrait-il qu’il existe, à l’intérieur de ces dernières, des gens capables de reconnaitre des valeurs culturelles. Hélas, cette disposition est aujourd’hui perdue. Et ça, c’est un vrai grand changement dans la vie politique culturelle en Autriche. Auparavant, les responsables politiques étaient plus cultivés. La liberté intellectuelle des années 1960-1970 a disparu. Et le monde a beaucoup changé depuis. Dans le monde politique, les idéalistes ont aujourd’hui été remplacés par des technocrates.

Des regrets ?

Aucun. Je ne regrette rien.

Des projets immédiats ?

Aucun non plus. Pour le moment. Je compose de la musique de chambre et j’enseigne, une journée par semaine, à la Hochschule für Musik à Vienne.

Le 10 juillet dernier, tu achevais ton communiqué en citant un texte de Kris Kristofferson chanté par Janis Joplin : « Freedom is just another word for nothing left to lose » (le mot « liberté  » est seulement une autre façon de dire «  rien à perdre »). Demain, qu’y aura-t-il à gagner ?

J’aime me laisser surprendre…

Propos recueillis par Pascal Kober

Entretien paru dans le numéro 654, daté hiver 2010 de la revue Jazz Hot.

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Disparition d’Abbey Lincoln

Abbey Lincoln« Pour ceux qui n’aiment pas le jazz »… Dans le programme du festival de cette année-là, je signais ce texte qui se concluait ainsi, en appoggiature du concert annoncé d’Abbey Lincoln : « L’amour du jazz est un cheminement, avec des passages obligés, comme des étapes où il fait bon se reposer avant d’aborder d’autres aventures. Un seul fil conducteur à ce voyage : la curiosité. Sans laquelle rien n’a jamais été possible. Il existe mille façons d’aimer le jazz. Comme il existe mille manières d’aimer. Tout court. » Abbey Lincoln nous a quittés hier. Elle venait tout juste de fêter son quatre-vingtième anniversaire. So long, Abbey…

Abbey Lincoln. La Rampe, Grenoble Jazz Festival, 1992. Photo : Pascal Kober

Lire aussi trois entretiens avec Abbey Lincoln parus dans les numéros 381 (1981), 485 (1992) et 524 (1995) de la revue Jazz Hot.

More about her…

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Calembredaines et coquecigrues

En clin d’œil à l’album de bande dessinée Avatar et coquecigrues, signé par Alexis (éditions Audie, 1975), des billevesées et autres farfeluteries glanées au fil des jours sur Internet et ailleurs…

• Quel est le synonyme de synonyme ?

• Mais que peuvent les crustacés face au béton qui, lui aussi, s’incruste assez ?

• « Nous sommes une industrie de prototype. » Michel Piccoli, à propos du cinéma.

• «  Les enfants, eux seuls, savent que la foi est plus belle que dieu. » Claude Nougaro à Jean-Louis Foulquier (France Inter).

• « Engager des gens intelligents pour leur dire ce qu’ils doivent faire n’a aucun sens ; nous avons engagés des gens intelligents pour qu’ils puissent nous dire ce que nous devons faire. » Attribuée à Steve Jobs, CEO d’Apple.

• « Quand un passager de pied a en vue, flûtez le klaxon. Trompetez-le mélodieusement au début, mais s’il continue d’obstacler votre passage, alors flûtez-le avec vigueur. » Lu, en «  français », dans une brochure de location de voitures à Tokyo. Extrait de Dans l’enfer de l’information ordinaire, de Christian Morel (éditions Gallimard).

• « In the word newspaper, what matters is not the word paper. » Le patron du New York Times.

• Quelques versions détournées de la célèbre pochette de l’album Abbey Road des Beatles : c’est là.

• Heureux qui connut Nice. C’est le joli titre d’un documentaire de Robert Bozzi.

• Et « Heureux qui communiste » est ce qu’André Manoukian entendait lorsqu’il était gamin (merci France Inter !)

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Anthologie des musiques traditionnelles de France

Patrick Frémeaux est un éditeur comme je les aime. Intelligemment militant, avec des parti-pris et une exigence quant au contenu de ses productions, consacrées pour l’essentiel au patrimoine sonore. Ce dernier entendu au sens large du terme puisque son catalogue va de ce fou de Pierre Barouh jusqu’à Michel Serres en passant par le chant des… oiseaux des Alpes ! On retiendra notamment sa récente anthologie des musiques traditionnelles de France qui compte dix volumes pilotés par l’ethnomusicologue Guillaume Veillet et complétés par des livrets très bien documentés.

Pascal Kober

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Alpins des Amériques

L'Alpe 46 : Alpins des AmériquesJ’ai rêvé de vivre à Montréal. Ou à San Francisco. Comme nombre de gamins : un rêve d’Amériques ! J’ai même rêvé de publier un transatlantique à la une de L’Alpe pour dire que le champ d’action d’une revue comme celle-ci reste ouvert au monde, ouvert aux autres. Mission accomplie pour ce troisième rêve.

Les habitants des Alpes ont toujours eu la bougeotte. Colporteurs, ils allaient vendre leurs graines jusqu’à la cour des tsars de Russie. Et contrairement à une idée reçue, ni le froid ni la faim ne les poussaient à franchir le col pour découvrir d’autres horizons. Seul les animait le goût d’entreprendre.

Ainsi, saviez-vous que le blues est aujourd’hui enseigné à l’université de Caroline du Sud par un professeur suisse ? Que la guitare électrique n’aurait pas été inventée de la même façon sans un autre émigrant d’origine helvétique ? Que des maçons de Haute-Savoie ont bâti l’un des plus anciens clubs de jazz de La Nouvelle-Orléans ? Que si le cap Horn est chilien plutôt qu’argentin, il le doit peut-être aussi à des producteurs de gruyère ? Que les moutons de Californie ont fait la fortune d’un pâtre piémontais ? Et enfin, le Mexique des Barcelonnettes : imaginiez-vous à quel point il pouvait entretenir, actuellement plus que jamais, une vraie ferveur populaire autour des patrimoines et du partage des cultures ?

Ces aventures, elles sont contées dans le numéro 46, daté automne 2009, de L’Alpe qui marque une autre migration, certes plus modeste, celle de la rédaction de la revue, qui va quitter, en cet automne 2009, ses bureaux historiques du Musée dauphinois, sur les hauteurs de Grenoble. Jacques Glénat, notre éditeur, vient en effet d’installer son siège social dans le couvent Sainte-Cécile qu’il a fait rénover en plein cœur de ville. Il y fêtera également ses quarante ans d’édition. L’occasion de saluer une autre belle aventure, osée, exigeante et passionnée. Plus de dix ans après sa création, L’Alpe en témoigne par son existence même. Longue vie et bon vent !

Pascal Kober

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Petit abécédaire d’un droguiste de marine

Lisez ces miscellanées que vient de nous concocter l’ami Loïc Josse, érudit breton, grand amateur de fêtes et pilier du festival des Étonnants Voyageurs. Sa droguerie de marine (une vraie), sise à Saint-Malo, vend de l’étoupe, des couleurs, du carbure et peut-être même de la gutta-percha si nécessaire pour protéger les cartes sur le chemin des Amériques. Au-dessus de cette merveilleuse boutique, Loïc a ajouté un salon où l’on cause et une librairie où les ouvrages de voyage côtoient les bateaux pop-pop, les aquarelles, le foie de lotte et la salicorne. C’est un peu l’âme de ce lieu ensorceleur et de son bosco gourmand que l’on retrouve dans ce livre passionnant et joliment illustré où l’on apprend incidemment que le savoyard Opinel est le couteau le plus prisé des marins et que la marmotte est aussi très utile aux callefatz.

Pascal Kober

Par Loïc Josse. Éditions Chasse-Marée – Glénat. 208 pages. 25 €.

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Une mémoire pour le Preservation Hall

J’ai rencontré la photographe américaine Shannon Brinkman, séduit par son portrait du Preservation Hall Jazz band publié sur le site Internet du célèbre club de jazz de La Nouvelle-Orleans. Le temps d’un message pour lui demander si par hasard, elle aurait aussi en archives des images des autres bâtiments construits par deux architectes savoyards évoqués dans le numéro 46, daté automne 2009, de la revue L’Alpe, et la commande de quatre photos était passée. À l’américaine : avec sourire (virtuel ;-) et efficacité. Dans son activité professionnelle, Shannon s’intéresse également aux sports équestres et aux hommes qui habitent La Nouvelle-Orléans. C’est ainsi que depuis 2003, elle photographie les musiciens programmés au Preservation Hall dans le cadre du projet The Change We Play. Cette galerie de portraits, complétée par des entretiens réalisés avec la journaliste Eve Abrams, compose un remarquable travail, patrimonial et social, sur la mémoire du club. Mais aussi, et au-delà, sur la mémoire du jazz en général, une musique née à La Nouvelle-Orléans qui représente un apport culturel majeur des États-Unis d’Amérique à l’art du XXe siècle.

Pascal Kober

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Caroline Halley des Fontaines : Time and silence

Impressionnante image de couverture ! Dans ce noir et blanc intense, l’amateur croit déceler la patte (photo)graphique d’un Sebastiao Salgado et c’est en réalité une jeune photographe qui signe ce portrait saisissant. En moins de dix ans, Caroline Halley des Fontaines a déjà beaucoup arpenté le monde, après ses études en sociologie du développement à la Sorbonne. Ses pas l’ont menée essentiellement en Afrique et en Asie d’où elle a ramené cette collection d’instants de calme et de sérénité. Quarante-sept images (pas une de plus) mais quelles images ! Éditées avec un soin méticuleux et très sobrement mises en scène comme de petits haïkus contant la planète et l’âme des hommes qui l’habitent. Un travail remarquablement abouti qui témoigne d’une belle maturité photographique.

Time and silence. Caroline Halley des Fontaines. Éditions teNeues. 96 pages. 29,90 €.

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Photo numérique : c’est la mémoire qu’on assassine !

La photo numérique est un formidable progrès pour qui maîtrise l’intégralité du processus de production de l’image. Pour tous les autres, amateurs comme professionnels, cette dématérialisation risque bien de rendre inexploitables demain les milliards de documents que nous réalisons aujourd’hui. Alerte rouge.

Hier, tout était simple. Un joli paysage, clic, c’est dans la boîte. Trente-six clics plus tard, passage au labo pour récupérer trente-six négatifs et autant de tirages. Des objets pas du tout virtuels face auxquels nos petits-enfants pourront vraisemblablement s’émerveiller encore dans quelques dizaines d’années. Bien ou mal rangés, bien ou mal documentés (comment ? vous ne légendez pas vos portraits de famille ?), bien ou mal archivés, qu’importe. Ou presque. Au fil des siècles, les évolutions des supports (plaques de verre, diapositives ou films négatifs, couleur ou noir et blanc) n’ont fondamentalement rien changé à ce constat.

Demain, pas sûr qu’il en soit encore de même. Les appareils photos argentiques ne représentent déjà plus que 1 % du marché et on estime que 60 % des foyers français sont équipés en numérique. Une technique qui a du bon : déclencher sans compter (chaque image ne coûte presque rien), voir immédiatement les résultats et ainsi corriger ses erreurs, visionner ses photos sur le téléviseur, les retoucher, les publier sur son site Internet, les envoyer aux amis par courriel, etc. Seul souci : tant qu’une image n’est pas imprimée, elle n’a qu’une existence virtuelle, fragile série de 0 et de 1 qui migrent de la carte mémoire de l’appareil vers l’ordinateur et parfois (mais parfois seulement !) vers une sauvegarde.

Les risques sont pourtant nombreux : effacement accidentel de fichiers, panne d’ordinateur ou de disque dur, virus informatiques, CD-Rom mal gravé ou rayé. Sans même évoquer les questions de logiciels, de formats de fichiers ou de supports de sauvegarde. Rien ne dit par exemple que les enregistrements de photos en RAW seront lisibles dans dix ans. Ceux qui ont stocké des films sur des cassettes vidéo V2000 ou des photos en très basse définition sur des Laserdisc, ceux qui ont archivé des fichiers informatiques sur des disquettes 5″ ¼ sans les transférer sur de nouveaux supports s’en mordent aujourd’hui les doigts. Même les appareils capables de lire ces formats n’existent plus ! Alors qu’ils ont disparu il y a moins de vingt ans !

À la revue L’Alpe, c’est au quotidien que nous mesurons les atouts, immenses, de la photo numérique pour la presse, mais aussi ses limites : fichiers de format exotique, définition d’image insuffisante, absence de tirage papier pour contrôler les couleurs, numérisations de médiocre qualité, etc. Même dans un contexte professionnel, les processus de production ne sont ainsi pas toujours maîtrisés par l’ensemble des acteurs de la chaîne. Dans un contexte plus général, le risque est donc immense de voir des pans entiers de la mémoire visuelle individuelle et collective disparaître dans ce grand trou noir de la dématérialisation de l’image.

La parade est connue : sauvegarder encore et encore, dans un format de fichier standardisé, en plusieurs exemplaires stockés dans des lieux différents, transférer ces sauvegardes sur de nouveaux supports dès qu’un bond technologique fait naître un nouvel outil d’archivage amené à se développer. En somme, rester aux aguets quant aux évolutions de l’outil informatique. Pas sûr que le commun des mortels ait assez de motivation pour se préoccuper de ça. Mais plus nous serons sensibilisés à cette question et moins la mémoire risquera d’être assassinée…

Pascal Kober

Altaï. Photo : Pascal Kober http://www.pascalkober.com

Photomosaïque bâtie à partir des 707 photographies numériques réalisées lors d’un reportage en Russie en septembre 2004 dans les montagnes de l’Altaï. 707 fichiers JPEG sauvegardés sur plusieurs disques durs stockés dans différents endroits. 707 tranches de vie toutefois totalement virtuelles qui n’existent dans la vraie vie que lorsqu’elles sont imprimées ou publiées. L’original de l’image ainsi recréée par le logiciel MozoDojo illustrait un article paru dans le numéro 27 de la revue L’Alpe. Photos : Pascal Kober.

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Alzy Trio : Seize cordes en bal(l)ades

English version below

Pascal Kober (basse), Christian Sanchez (guitare) et Thierry Rampillon (guitare)

Design : Michka Piera

Depuis les langoureuses mélodies de la bossa nova  jusqu’à la note bleue du jazz en passant par les mots doux de la chanson française et les rythmes du flamenco, le séduisant voyage de seize cordes en bal(l)ades qui revisitent à leur façon, très singulière, les grands standards du répertoire.

Après la parution de Seize cordes en bal(l)ades, son premier disque, enregistré en 2007 et également disponible sur iTunes et les principaux sites de téléchargement de musique, l’Alzy Trio a fêté sa dixième saison d’existence en 2012 et donne toujours chaque année plusieurs concerts en France ainsi qu’à l’étranger.

Le groupe réunit aujourd’hui encore les trois mêmes amis musiciens : Pascal Kober à la basse acoustique fretless, Thierry Rampillon et Christian Sanchez aux guitares acoustiques. Plusieurs belles expériences font écho à ce premier opus : une émission de télévision avec Pierre Barouh, Sheyla Costa et Jean-Pierre Mas, une participation au festival de jazz de Tanger, au Maroc ou encore les projets Friends rassemblant une kyrielle d’invités exceptionnels.

Le deuxième disque de l’Alzy Trio est paru à l’automne 2011. Il est consacré à un French songbook, comme en clin d’œil au Great American songbook qui fait la part belle aux standards de la chanson de Broadway repris par les plus grands musiciens de jazz. Ce nouveau répertoire propose des arrangements instrumentaux originaux réalisés à partir des plus belles chansons françaises, thèmes emblématiques, connus dans le monde entier. Plusieurs amis musiciens invités (Tamanga Bévis et Elsy Fleriag au chant, ainsi que Jean-Pierre Jackson à la batterie) apportent également leur pierre à cet édifice architecturé autour du plaisir de jouer et des sourires complices, sur des thèmes de Serge Gainsbourg (La javanaise), Michel Legrand (Chanson de Maxence, Chanson des jumelles), Claude Nougaro (Cécile ma filleLes pas, Tu verras, Un été), Jacques Prévert et Joseph Kosma (Les feuilles mortes), Aldo Romano (Rimes) ou encore Charles Trénet (Que reste-t-il de nos amours ?).

Écoutez quelques thèmes du premier disque ici :

Wave
Corcovado
So danço samba
Insensatez
Balanço
Rimes
So what
Birdland

Pour acheter le CD de l’Alzy Trio dans la vraie vie, merci d’envoyer 10 euros (frais de port inclus) à : Association Jazz en ballade, 7, rue d’Aquitaine, 38130 Échirolles, France. Pour le télécharger, rendez vous sur iTunes ou sur les principales plates-formes de téléchargement légal. Enfin, pour tout connaître des prochaines dates de concerts, et voir des vidéos ainsi que quelques reportages sur les tournées, visiter le site Internet de l’Alzy Trio.

From sultry Bossa Nova melodies (João Gilberto, Vinícius de Moraes, Tom Jobim, Michel Jules…) to timeless jazz standards (Chick Corea, Dizzy Gillespie, Miles Davis, Charles Mingus, Stevie Wonder, Joe Zawinul…), French favorites (Pierre Barouh, Joseph Kosma, Francis Lai, Michel Legrand, Yves Montand, Claude Nougaro, Aldo Romano, Henri Salvador…) and flamenco rhythms (Paco de Lucia), this 16-string trio adds its personal touch to the great classics of our time.

Click here to go to Alzy Trio’s website and know more about concerts, tours, videos and photo reports about the band.

To order the CD, simply send ten euros (postage included) to : Association Jazz en ballade, 7, rue d’Aquitaine, 38130 Échirolles, France.

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Alzy Trio : Wave

Wave est un thème composé en 1967 par Antônio Carlos (Tom) Jobim (1927-1994) que le compositeur a lui-même chanté avec Frank Sinatra. La chanson a également été reprise par Ella Fitzgerald ou encore Sarah Vaughan (avec le big band de Michel Legrand, sur un tempo extrêmement lent) et, en version instrumentale, notamment par Birelli Lagrène et Sylvain Luc.

Cliquez sur le titre du thème pour lancer son écoute (guitare solo : Thierry Rampillon)

Wave (Tom Jobim)

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Alzy Trio : Corcovado

Joao Bosco, Joao Gilberto et Caetano Veloso. Festival de jazz de Vienne, 1989. Photo : Pascal Kober

Joao Bosco, Joao Gilberto et Caetano Veloso

Composé en 1960 par Tom Jobim, Corcovado a été chanté par João Gilberto qui en a écrit le texte. Le titre de ce thème fait référence au célèbre sommet de Rio de Janeiro sur lequel a été érigée, en 1931, une gigantesque statue du Christ. Un grand classique de la bossa nova qui sera notamment repris en instrumental par Stan Getz. Une version anglaise (Quiet nights of quiet stars) sera également chantée par Ella Fitzgerald, Stacey Kent ou Diana Krall. Henri Salvador a adapté le thème en français (Bonjour et bienvenue) dans Performance !, son enregistrement en public paru en 2002 chez EMI : «  Je vais vous interpréter un air qui nous vient d’outre-Atlantique. Il arrive avec douceur, du pays de la langueur, où les femmes ont des saveurs poivrées de fruits exotiques. »

Cliquez sur le titre du thème pour lancer son écoute
(basse solo : Pascal Kober ; guitare solo : Thierry Rampillon).

Corcovado (Tom Jobim et João Gilberto)

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Image en vignette : João Bosco, João Gilberto et Caetano Veloso au festival de jazz de Vienne en 1989. Photo : Pascal Kober.

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Alzy Trio : So danço samba

So danço samba est un thème composé par Tom Jobim (1927-1994) et Vinícius de Moraes (1913-1980).

Cliquez sur le titre du thème pour lancer son écoute (guitare solo : Christian Sanchez).

So danço samba (Tom Jobim)

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Alzy Trio : Insensatez

Il se murmure que Tom Jobim se serait inspiré des harmonies du fameux Prélude numéro 4, opus 28, de Frédéric Chopin pour écrire Insensatez en 1961 sur un texte de Vinícius de Moraes. Devenu un standard du répertoire de la bossa nova, ce thème a été joué en version instrumentale par des musiciens comme Stan Getz, Roy Hargrove, Birelli Lagrène ou Aziza Mustafa Zadeh. Il a également été chanté à de multiples reprises : en portugais par Eliane Elias, Astrud Gilberto, João Gilberto ou Paula Morelenbaum (très belle version avec le pianiste japonais Ryuichi Sakamoto) ; en langue anglaise (How insensitive) par Karrin Allyson (qui l’introduit par le fameux Prélude), Dee Dee Bridgewater, Ella Fitzgerald, Michele Hendricks, Diana Krall, Karin Krog, Petra Magoni ou encore… Iggy Pop (!). Pour l’anecdote, on notera aussi une version en français (Quand tu m’as parlé) chantée par… Richard Anthony (!) ou le guitariste Sacha Distel.

Cliquez sur le titre du thème pour lancer son écoute (basse solo : Pascal Kober).

Insensatez (Tom Jobim)

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Alzy Trio : Balanço

Balanço est un thème composé par un ami guitariste, Michel Jules, hélas trop tôt décédé, et qui avait longtemps séjourné au Brésil où il avait notamment rencontré le percussionniste Luiz Carlos de Paula qui accompagnait alors Jorge Ben. Avec sa formation Notenstock, dont faisait également partie le guitariste Stéphane Sarlin, il avait enregistré un CD en 1992 (À côté du soleil) et un album live en 1993 avec le bassiste américain Abraham Laboriel.

Cliquez sur le titre du thème pour lancer son écoute (guitare solo : Christian Sanchez).

Balanço (Michel Jules)

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Alzy Trio : Rimes

Ce thème à cinq temps (une métrique peu courante en jazz, sauf quand le saxophoniste Paul Desmond écrit Take five pour le quartet de Dave Brubeck ;-) est l’œuvre du batteur français Aldo Romano. Il a notamment été repris, dans une version très lyrique (comme il se doit), par le trio du pianiste belge Ivan Paduart sur son disque, My french heart, célébrant les grands auteurs de chansons en langue française. Ce morceau a également été chanté par Claude Nougaro (sur un très joli texte qu’il écrivit en 1981 ; voir ci-dessous), mais aussi par Maurane ou Sandrine Kiberlain (en trio accordéon, contrebasse et guitare).

Cliquez sur le titre du thème pour lancer son écoute.

Rimes (Aldo Romano et Claude Nougaro)

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Rimes (musique d’Aldo Romano et texte de Claude Nougaro)

J’aime la vie quand elle rime à quelque chose
J’aime les épines quand elles riment avec la rose
J’aimerais même la mort si j’en sais la cause
Rimes ou prose

J’aime ma chanson quand elle rime avec ta bouche
Comme les ponts de Paris avec bateau-mouche
Et la perle des pleurs avec l’œil des biches
Rimes tristes

J’aime les manèges quand ils riment avec la neige
J’aime les nains qui riment avec Blanche-Neige
Rimons rimons tous les deux
Rimons rimons si tu veux
Même si c’est pas des rimes riches
Arrimons-nous on s’en fiche

J’aime la vie quand elle rime à quelque chose
J’aime les épines quand elles riment avec la rose
Rimons rimons belle dame
Rimons rimons jusqu’à l’âme
Et que ma poésie
Rime à ta peau aussi…

(bis tutti)

Rimons rimons belle dame
Rimons rimons jusqu’à l’âme
Et que ma poésie
Rime à ta peau aussi…

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Alzy Trio : So what

George Russell et Noël Balen. Jazz à Vienne 1987. Photo : Pascal Kober

George Russell et Noël Balen. festival Jazz à Vienne 1987, photo Pascal Kober

So what a été composé par le trompettiste Miles Davis (1936-1991) pour son célèbre album Kind of blue, paru en 1959 (et généralement considéré comme le disque le plus vendu de toute l’histoire du jazz). Le thème fait partie du répertoire des standards joués par les plus grands et a été notamment repris par Larry Carlton (dans une version très blues), le big band de JJ Johnson (1924-2001), Birelli Lagrène et Sylvain Luc ou encore Marcus Miller avec l’orchestre philharmonique de Monte-Carlo ! Initialement enregistré avec un quintet (Cannonball Adderley au saxophone alto, Paul Chambers à la contrebasse, Jimmy Cobb à la batterie, John Coltrane au saxophone ténor, Bill Evans ou Wynton Kelly au piano), il a fait l’objet d’une superbe version écrite en 1986 par le pianiste George Russell (1923-2009) pour son Living Time Orchestra. C’est sur la base de cet arrangement pour big band que Christian Sanchez a réalisé cette adaptation pour trio acoustique.

Cliquez sur le titre du thème pour lancer son écoute
(basse solo : Pascal Kober ; guitare solo : Thierry Rampillon).

So what (Miles Davis)

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Alzy Trio : Birdland

Joe Zawinul. Marmara Hotel, International Istanbul Jazz Festival, Turquie, 1996. Happy birthday, Joe. Ce soir-là, le créateur du groupe Weather Report fêtait son soixante-quatrième anniversaire. Quelques heures plus tôt, dans le théâtre en plein air qui domine le Bosphore, standing ovation pour le Zawinul Syndicate qui venait de rendre hommage à un grand musicien turc récemment disparu. Mais après le spectacle, la vie continue… Retour à l’hôtel pour une petite fête entre amis. © Photo : Pascal Kober

Joe Zawinul. © Photo 1996 : Pascal Kober

Birdland est un thème composé pour l’album Heavy Weather paru en 1977, par le pianiste Joe Zawinul (1932-2007), fondateur, avec le saxophoniste Wayne Shorter, du groupe Weather Report. Il a notamment été repris par Quincy Jones et par le quartet vocal Manhattan Transfer sur un texte de Jon Hendricks. Le titre du morceau évoque bien sûr le saxophoniste Charlie Parker (1920-1955, surnommé Bird) ainsi que le célèbre club de jazz de New York créé en 1949, mais aussi le club que Joe ouvrit en 2004 dans sa ville natale de Vienne en Autriche. Ce thème à l’origine très « électrique » (pionnier du jazz-rock, Zawinul était un extraordinaire sorcier des sons sur ses multiples synthétiseurs) est ici joué dans un arrangement de Christian Sanchez pour trois instruments acoustiques.

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Birdland (Joe Zawinul)

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All So’ : Jazz, etc.

English review below

Photo : Christian Rausch

Photo : Christian Rausch

All So’ comme un triple clin d’œil. Deux clins d’œil pour Miles, bien sûr, par qui le jazz est venu à moi. Avec All blues et So what, Miles Davis a écrit, pour l’album Kind of blue, deux thèmes forts de l’histoire de cette musique. Clin d’œil aussi à la chanteuse Sophie Villamayor puisque All So’, c’est tout Sophie. Ou tout pour Sophie. La juste place du bassiste dans une telle formation. Comme me le disait Steve Swallow dans un entretien avec lui pour la revue Jazz Hot : « Ce n’est pas tellement le son ou l’instrument lui-même qui m’a séduit, mais plutôt le rôle social de la basse, le service qu’elle rend au sein du groupe. Cet aspect m’a immédiatement attiré. Il y avait là quelque chose qui me paraissait juste, qui était plus gratifiant que de simplement jouer et improviser. Et aujourd’hui encore, je retrouve souvent ce sentiment, ce merveilleux sentiment, qui fait que lorsque le saxophoniste prend un solo magnifique, le bassiste sourit secrètement car il sait que, dans un sens, c’est aussi un peu son solo. »

Pascal Kober

Cliquez sur le titre du thème pour lancer son écoute.

Summertime (George Gershwin, DuBose Heyward et Ira Gershwin)

Ce thème emblématique de la culture américaine, ici inspiré d’une très belle version de la chanteuse Molly Johnson, prête son titre à une nouvelle émission de jazz d’Elsa Boublil pour France Inter. Il faut aussi aller visiter les sites Internet de deux collectionneurs fous qui ont recensé des zilliards d’enregistrements ainsi que quelques anecdotes croustillantes : c’est ici et ici. Ainsi, ce morceau qui date de 1935 existe-t-il aussi dans une version en langue maori (He raumati) chantée par Whirimako Black. Mais c’est Billie Holiday qui en interpréta la première version jazz chantée, à peine un an après, et en même temps qu’un autre musicien (Caspar Reardon) la jouait pour la première fois à la harpe. Sans parler de Steve Mann qui en proposa récemment une version à… l’hydraulophone ! Enjoy…

Sunny (Bobby Hebb)

Une composition de Bobby Hebb en hommage à son frère Sunny, assassiné le 23 novembre 1963, à la sortie d’une discothèque de Nashville aux États-Unis. À propos de cette interprétation d’All So’, le chanteur nous écrira lui-même le 29 juillet 2007 : «  Thank you for your wonderful version of SUNNY. Peace and Love, Bobby Hebb » Le chanteur nous a quittés le 3 août 2010, quelques jours avant la chanteuse Abbey Lincoln et le photographe Herman Leonard. Sale temps…

Another day (Molly Johnson, Mark McLean)

I wish (Stevie Wonder)

Sophisticated lady (Duke Ellington)

Mack the knife (Marc Blitzstein, Bertolt Brecht, Kurt Weill)

Can’t buy me love (John Lennon, Paul McCartney)

Créée en mars 2005, All So’ a fait ses adieux à la scène trois ans après en donnant son dernier concert en octobre 2008. La formation a néanmoins eu le temps de graver ce CD en octobre 2006 (Jazz, etc.), aujourd’hui épuisé et dont les thèmes peuvent être écoutés ci-dessus. Sur cet enregistrement, réalisé par Philippe Valdes au studio La Cigogne (à l’exception de Summertime, capté en public par le même ingénieur du son), le groupe était composé de Sophie Villamayor (chant), Pierre Bigorgne (piano), Hervé Denis (bugle, trompette), Vincent Duchemin (batterie) et Pascal Kober (basse acoustique fretless).

Ce qu’ils en ont dit :

Robert Latxague (Jazz Magazine)

Ils ont franchi le pas. Ils l’ont fait. Par engagement. Ils se baladent désormais de l’autre côté du miroir. Pas all blues, non. Et alors, so what  ? Le cinq de Grenoble verse dans le groove et la mélodie avec fougue, avec une grosse envie. Avec le feu intérieur qui, chez les vrais amateurs, confine à la passion. Celle née de la relation à leur instrument, au jazz et ses démons d’improvisation. Et pas qu’au jazz puisque on les sent tous et chacun en particulier tellement heureux de s’approprier des petits bouts de pépites griffées Stevie Wonder, Lennon – McCartney ou Brecht. Rien que ça, rien moins  !  Question de génération, de mémoire musicale du monde, de message artistique à transbahuter par intime conviction. Un tel plaisir forcément, se partage. Et ils l’entendent bien ainsi puisque partant de l’Isère ils comptent bien prendre la route sans compter. On the road again vers l’ailleurs. Le jazz dans l’âme reste affaire de découverte, n’est-ce pas  ? Ainsi va la musique qui vit à la fois de mesures et de démesure. Question désir et plaisir à conjuguer à toutes les personnes. Jazz. etc. Ils ont pris le pari de jouer le jeu du point sans suspension, de notes plutôt bleues à mettre à la portée de tous, en partage. En mode d’invitation. De celles qui ne se refusent pas.

Erwan Benezet (Le Parisien)

On pense connaître ses amis sur le bout des doigts. Et un beau jour, on découvre une face cachée. Non pas une «  dark side of the moon  » chère aux Pink Floyd. Moins encore le «  côté obscur de la force  » de l’œuvre de George Lucas. Dans le cas qui nous intéresse ici, ce serait même plutôt une mise en lumière  ! Un beau jour, Sophie (puisqu’il s’agit d’elle) débarque à l’improviste, sort un CD de son sac et le pose sur la platine  : «  Tiens, écoute ça…  » Une voix chaude, envoûtante, s’évade des enceintes. Derrière, un piano électrique égrène quelques notes, accompagne sans trop presser, enveloppe comme un écrin la chanteuse qui susurre la fin du premier couplet. Puis, tout s’emballe. La batterie lance la charge, soutenue par une basse bien plantée. Un solo de trompette se pointe à point nommé  : le standard Sunny de Bobby Hebb est ici revisité de main de maître par un quintette qui, assurément, sait où il va. S’enchaînent cinq autres reprises, flirtant avec le meilleur de la pop  (I wish de Stevie Wonder ou Can’t buy me love des Beatles), le jazz dans la plus pure tradition (Sophisticated lady tendance Ella Fitzgerald) ou même la comédie musicale (Mack the knife, originellement composé par Kurt Weill sur des paroles de Bertolt Brecht). Et le pauvre auditeur de se triturer les méninges en tendant l’oreille  : à qui diantre peut donc bien appartenir cette sacrée voix  ? On aimerait sortir grand vainqueur de ce blindfold test improvisé, passant en revue toutes les grandes interprètes actuelles, mais rien à faire. Rien à faire car, comme souvent, c’est lorsque l’on a la réponse sous les yeux qu’on est le plus aveugle  ! All So’ indique la couverture. So’ pour Sophie, comme cette jolie blonde passée boire un verre comme le fait une amie et qui décidément nous étonnera toujours. On savait qu’elle poussait la chansonnette depuis de nombreuses années, qu’elle était passionnée de jazz depuis plus longtemps encore. Mais comment deviner qu’elle en était arrivée à une telle maîtrise, entourée d’une bande de musiciens capables d’apporter une touche personnelle à de tels standards  ? On attend avec impatience l’album ainsi que leurs prochaines dates de concert. Priez le dieu du jazz, s’il existe, pour qu’All So’ passe près de chez vous…

Robert Barry Francos (Jersey Beat)

All So’ is French singer Sophie Villamayor’ jazz combo. Her self-titled CD release is full of standard jazz choices (such as Mack the Knife and Sophisticated Lady), and some interesting choices (Sunny, Can’t Buy Me Love and Stevie Wonder’s I Wish). Sophie’s voice is smooth and fits in with the combo quite smoothly. I would have liked to have heard her a bit higher in the mix, as she can get lost, but even when that happens, she more becomes and equal part of the mix of the whole than just a front-person. Perhaps that is what they were going for, and if so, it works. Sophie’s voice is sort of like raindrops that bounce on the leaves of the notes, cascading down the side of the song, playful and meandering. It’s sweet, and the combo keeps up the mood.

© 2007 Photo : Véronique Dupré

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France : Jazz à Vannes

« Il fait beau et chaud.  » Ce n’est pas une contrepèterie et chaque matin au point presse, la formule sonne comme un exorcisme sur les lèvres de Jean-Philippe Breton, directeur, Tourangeau, du festival. C’est que les clichés météorologiques ont la vie dure. D’ailleurs, ici, même le ciel s’y conforme : souvent grisouilleux dans la journée, mais à peine si quelques gouttes ont tenté de gâcher le rappel de l’une des soirées. À Jazz à Vannes, on a bien prévu une solution de repli. Mais nul ne l’aime, cette salle sans âme, trop éloignée des animations du (très beau) centre-ville historique. Chaque soir, Jean-Philippe Breton a donc pris le risque. Et chaque soir, il a eu raison. Il faut dire que c’est tout de même un autre plaisir que d’aller à l’hôtel de Limur, belle bâtisse du XVIIe située entre cour et jardin, sous le tilleul centenaire.

Seul Eric Bibb n’a pas eu cette chance cette année. Les prévisions étaient trop incertaines. Mais le New-yorkais a rapidement fait oublier ce petit contretemps. Seul en scène pour une bonne partie du concert, il emporte immédiatement son auditoire avec un blues acoustique littéralement inouï dont les accents flirtent parfois avec la musique country dans un étrange jeu de guitare ancré sur les basses et des arpèges ciselés. En seconde partie, la voix d’Otis Taylor ne fera, en revanche, pas l’unanimité chez les spectateurs. Dommage car cet autre blues, presque psychédélique, mérite l’attention pour sa façon de réinterpréter le genre avec une instrumentation inhabituelle (deux violoncelles dont un à cinq cordes) et des nappes mélodiques qui rappellent parfois étrangement le… folklore celtique !

La voix, encore elle, était très présente à Vannes cette année, notamment avec les prestations de Sara Lazarus qui réussit l’exploit de faire scatter (et plutôt bien) le public et celle d’Anna Lys, excellemment accompagnée et qui révèle un joli brin de talent sur un répertoire de standards peu pratiqués. Rare d’ailleurs, il faut le noter, que les festivals laissent leur chance, sur leur grande scène, aux musiciens du cru. C’était le cas ici et nul doute qu’assurer, brillamment, la première partie d’Eliane Elias a dû impressionner et surtout «  aguerrir » la jeune chanteuse originaire de Vannes. La pianiste brésilienne, quant à elle, restera dans les classiques, ceux du grand Jobim, et si l’on sent sur cette scène un tel plaisir de jouer, notamment chez le jeune guitariste Gustavo Saiani, c’est que justement, il y a là des années de métier. Presque trop si l’on en croit ses réflexions aux photographes durant le sound-check : « Avez-vous fait assez des photos ? » Assez de photos ! Comme si la photo était un sport ! Et la belle Eliane, a-t-elle fait assez de notes, elle ? Il faudra un jour que je m’emporte sur ces dérives marketing de la scène jazz quant à la (juste) place de la photographie et, incidemment, de la mémoire dudit jazz…

Un seul musicien, dans cette édition du festival, avait de bonnes raisons de brider les hommes d’image durant son concert. Abdullah Ibrahim a joué ce soir-là avec tant de délicatesse et si peu de volume sonore que c’eût été crime que d’entendre un déclic là où il n’y avait que musique. Sa musique. Toutefois difficile d’approche pour qui ne réussit pas à entrer dans l’univers du pianiste tout au long du seul et unique thème déployé pendant le concert. Quant aux trois premières… minutes (!) absurdement concédées aux photographes par Bojan Z (ou par son agent ?), ils confinent au ridicule. Pour le principe, mais aussi parce que la musique du pianiste, passionnante de bout en bout, repose, pour l’essentiel sur l’énergie. Mais passons…

Passons encore sur la dernière soirée, festive comme il se doit avec deux formations latines plutôt éloignée de l’idiome jazz pour revenir un instant sur un concert magnifique : celui du Mingus Big Band, dont Sue, la veuve du contrebassiste, entretient toujours la flamme et avec quel énergie, elle aussi ! Cet orchestre est un festival à lui tout seul : solistes époustouflants (Frank Lacy, bien sûr, mais aussi Craig Handy et tant d’autres), discours radical et arrangements aux petits oignons (dûs notamment au bassiste moscovite Boris Kozlov) qui révèlent d’autres facettes de thèmes emblématiques comme Fables of Phœbus ou Orange was the color of her dress (en hommage au saxophoniste John Stubblefield récemment disparu) dont on pensait qu’ils appartenaient à l’histoire. Réponse : oui, ils sont bien historiques mais aussi tellement révélateurs de l’aujourd’hui du jazz.

Reste le off, petit bémol de cette attachante manifestation. Car si la programmation de la scène principale, le cadre de l’hôtel de Limur, la ville et la proximité des magnifiques paysages du golfe du Morbihan ne peuvent que séduire le voyageur et l’amateur de jazz, on aimerait aussi prolonger plus facilement le plaisir autour d’un verre et de quelques notes bleues à l’issue des concerts. Ah, j’allais oublier : avez-vous entendu parler de Didier Squiban ? Sûrement, si vous êtes Breton puisque ce diable de pianiste qui habite parfois sur l’île de Molène, non loin d’Ouessant, a vendu, selon ses propres dires, plus de cent mille disques ! Ici, on le connaît surtout pour ses interprétations de musiques traditionnelles celtiques mais l’homme taquine aussi le swing et sa création en trio, à Vannes, avec le très lyrique contrebassiste Simon Mary et le percussionniste nantais Jean Chevalier fut un instant de pur bonheur. Mais ça, c’est une autre histoire…

Pascal Kober

Miam

Le Petit bulot, place de la poissonnerie, à Vannes. Pour ses huîtres et son agréable verre de blanc dans une ambiance bistrot.

La Table de Jeanne, sur la même place. Pour ses préparations justes et goûteuses.

La Pierre à grill, en face de l’hôtel de Limur, à Vannes. Pour les connaisseurs : araignée, poire et merlan. Rarement vous aurez mangé d’aussi bonnes viandes rouges.

Le Poisson d’avril, au Guilvinec (Finistère). Pour ses concerts de jazz (l’ami Daniel Huck, cet été) et sa cuisine raffinée.

Chronique publiée dans le numéro 625, daté novembre 2005 de la revue Jazz Hot.

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Maroc : Tanjazz, des amis de toute la vie

« Des amis de toute la vie  » comme on dit ici, en terre africaine, à quelques encablures du détroit de Gibraltar. La formule résume joliment un festival comme on aimerait en fréquenter plus souvent. Prenez le métier d’un Pierre Boussaguet, ajoutez-y la fraîcheur d’une Lisa Cat-Berro et de ses complices du groupe Ayoka, la note bleue orientale d’un Wajdi Cherif et une facétie (mais quel souffleur !) d’un Daniel Huck et vous obtenez les plus beaux bœufs qui se puissent imaginer. À Tanger, ces impromptus de rêve naissent tous les soirs, en club, après les concerts en plein air dans les jardins de la Mandoubia, et ne s’achèvent qu’aux aurores. Ailleurs, dans des manifestations autrement plus installées, ça fait longtemps qu’on a oublié, pour cause de business, d’inculture ou de négligence, jusqu’à l’existence même de ces délicieux instants éphémères. C’est que pour susciter de tels moments de grâce, il faut aussi aimer le jazz, ce qui est incontestablement le cas de Philippe Lorin, Français installé au Maroc, qui tient ce festival à bout de bras depuis six ans maintenant avec une équipe de bénévoles passionnés. Bref, vous aurez compris que les jam sessions enfiévrées de Tanjazz méritent à elles seules la traversée de la Méditerranée. Sans compter, bien sûr, le chaleureux accueil des Tangérois. Et une dédicace toute particulière à Abdellah El Gourd, compagnon de Randy Weston (qui vécut longtemps ici), qui nous a si gentiment reçu et de façon impromptue, autour d’un thé à la menthe dans sa maison de la medina pour nous faire goûter à la musique gnawa.

Côté programmation, rien à redire. L’affiche est modeste mais elle ne retient que des musiciens de qualité en explorant, sur six jours, les multiples territoires d’un jazz très international. Excentrique et musicalement exigeant pour le Cubain Omar Sosa (que l’on aimerait revoir en piano solo), ancré dans les racines du blues pour les Franco-Américains Nina van Horn et Jeff Zima ou encore résolument jazz pour Yutaka Shiina, un remarquable pianiste japonais, qui fut de la Jazz Machine d’Elvin Jones et dont il faudra reparler. Sans oublier les belles prestations de la formation du guitariste sétois Louis Martinez (avec l’excellent saxophoniste Jean-Michel Cabrol) ou des «  messagers du jazz  » réunis autour du trompettiste américain Ronald Baker sur un répertoire hard bop superbement arrangé par Jean-Jacques Taïb. Les pays voisins du Maroc ne sont pas oubliés puisqu’outre le Tunisien Wajdi Cherif, Philippe Lorin avait invité le Cairo jazz band, bâti autour de Salah Ragab, vieil ami de Sun Ra, ainsi que le délicat quartet du pianiste marocain Tawfik Ouldammar. Le tout emporté, jour après jour, par la puissance des joli(e)s percussionnistes de la Batucada Batala du Brésilien Giba Goncalves qui ont fait un tabac chaque matin dans les rues de Tanger. Il faut avoir vu les sourires sur les visages des gamins à la sortie des écoles pour mesurer la générosité d’un événement qui fait de l’ouverture sur la ville un point fort de son programme. Longue vie et bon vent…

Pascal Kober

Galerie d’images sur l’édition 2009

Festival de jazz de Tanger, sixième édition de Tanjazz, du 24 au 29 mai 2005. Chronique publiée dans le numéro 622, daté juillet-août 2005,  de la revue Jazz Hot.

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Russie : Altaï, le voisin sibérien

Au point du globe le plus éloigné de tout rivage maritime, à califourchon entre Chine, Kazakhstan, Mongolie et Russie, la petite république de l’Altaï tente de s’ouvrir au tourisme de découverte. Ces confins de la Sibérie ressemblent à nos Alpes. Pourtant, nous sommes déjà ailleurs…

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Si j’étais cinéaste, je dirais que c’est à un road movie que m’a convié Sergei. Je ne suis que photographe mais je n’ai jamais déclenché autant depuis la vitre (souvent) sale d’un pick-up japonais sur cette tchouyskyi trakt , l’unique ruban d’asphalte qui relie la Sibérie à la Chine via la Mongolie. Quatre jours de route. Au bas mot. Pour deux jours de montagne… Que l’on ne rechigne pas à faire lorsqu’on est amateur d’alpinisme russe et que l’on habite à Tomsk, 1 161 kilomètres du massif de l’Altaï. Évidement, vu d’ici, ça ferait rire un Lillois qui s’installe confortablement le matin dans le T.G.V. pour skier l’après-midi en Savoie. Vu de là-haut, ça fait d’ailleurs aussi rire les Russes. Mais pour d’autres raisons. Cette liberté-là, ça faisait longtemps qu’ils en rêvaient. Alors…

Sergei Astakhov est diplômé de l’université polytechnique et du génie civil de Tomsk. Féru de montagne, il a dirigé le club de son école et affiche aujourd’hui une carte de visite longue comme le bras  : président de la fédération d’alpinisme et d’escalade de la région, président de l’académie internationale des montagnes et directeur général de l’agence de tourisme Promalp. Beaucoup pour un seul homme  ? C’est mal connaître les Russes qui se démènent aujourd’hui comme de beaux diables pour s’inventer un nouveau pays. Et le rêve de Sergei, c’est de développer la pratique des activités de montagne. Oh, pas à Tomsk  ! Car cette grande ville universitaire (cent mille étudiants pour cinq cent mille habitants) longtemps fermée aux visiteurs en raison de la présence de laboratoires sensibles spécialisés dans la recherche nucléaire, est environnée, à des centaines de verstes à la ronde, d’un paysage de taïga aussi plat qu’un plat. Non, l’eldorado alpinistique de Sergei est situé exactement à 1 161 kilomètres de chez lui. Dans l’Altaï.

En septembre 2004, pour écouter d’autres avis sur son projet, il a donc invité une délégation française de professionnels de la montagne pilotée par France Neige International, l’organisme chargé de la promotion du savoir-faire hexagonal en matière de sports d’hiver  : vice-président du Conseil général de la Savoie, maire de Châtel, direction de l’École nationale de ski et d’alpinisme (avec laquelle un accord a d’ailleurs d’ores et déjà été signé) et Club alpin français. Premier contact à Tomsk, bien sûr, 1 161 kilomètres, etc. Ce qui explique le road movie qui a suivi… Non que Tomsk ne mérite pas le détour. Au contraire. La ville est même un bon point de chute pour partir vers l’Altaï. Parce qu’elle est dotée d’un aéroport régional relié à Moscou et parce que l’autre grand centre urbain de la Sibérie, Novosibirsk, ne déroule, comme son nom l’indique, que de grands ensembles modernes de l’ère soviétique. Et puis, Tomsk, fondée il y a tout juste quatre siècles par le tsar Boris Godounov, recèle aussi un formidable patrimoine de maisons en bois aux fenêtres encadrées de fines dentelles de bouleau sculpté. Une merveille.

Un pays habité de longue date

Mais alors. Qu’est-ce qui a bien pu inciter les amateurs de montagne de Tomsk à jeter leur dévolu sur ces si lointaines montagnes de l’Altaï  ? Probablement faut-il y voir un effet de l’histoire. La grande. Flash back. Il y a vingt ans, en U.R.S.S., c’est vers le Pamir que se tournaient les sportifs de haut niveau. Des sommets de plus de 7 000 mètres d’altitude situés certes aux confins de l’empire soviétique (non loin de l’Himalaya et du sulfureux Afghanistan) mais toujours à l’intérieur des frontières et que l’on baptisait alors «  pic du Communisme  » ou «  pic Lenine  » . Puis vint Gorbatchev et sa perestroïka qui fit éclater l’union. Exit le Tadjikistan qui prit son indépendance en 1991. Exit, du même coup, le terrain de jeu des alpinistes russes dont les visées colonialistes n’avaient jamais été du goût des populations locales. Pour continuer à pratiquer, il restait donc l’Oural (trop peu élevé), le Caucase (pas très sûr depuis quelques années…) et… l’Altaï.

Décor. Une longue chaîne de montagnes posée à califourchon entre la Chine, le Kazakhstan, la Mongolie et la Russie. L’épine dorsale culmine au Belukha, 4 506 mètres d’altitude. À vue de nez (de renifleur…), nous sommes là au point du globe le plus éloigné de tout rivage maritime. 4 000 kilomètres. Pas moins. L’Altaï doit ressembler à nos Alpes avant l’urbanisation avec de vertes collines boisées qui évoquent celles du plateau helvétique. Ce paysage bucolique et agraire donne progressivement accès à de grands cols (Seminskij, Chike-Taman) qui ouvrent sur les horizons d’une Asie centrale sèche, rude et pelée, peuplée de bergers et de troupeaux de moutons mais aussi de loups, d’ours et de léopards des neiges. Sur le versant le plus septentrional du massif, la république «  indépendante  » de l’Altaï regroupe à peine deux cent mille habitants (dont 60 % de Russes !) pour un territoire grand comme un cinquième de la France. La capitale, Gorno-Altajsk, à 3 641 kilomètres de Moscou, n’en accueille même pas le quart et une seule route principale, la fameuse tchouyskyi trakt, construite par les zeks , les prisonniers du goulag, relie les 248 villages répartis sur le territoire.

En dépit de son apparent isolement, la région fut habitée dès le Paléolithique. Non loin de la petite commune d’Inja, on trouve d’ailleurs, à proximité immédiate de la route, un très beau gisement de gravures rupestres à ciel ouvert qui témoigne de cette présence. Mais l’Altaï garde surtout trace des Scythes (voir le numéro 11 de L’Alpe ) qui l’ont occupé entre le huitième et le troisième siècle avant Jésus-Christ, y laissant plusieurs milliers de tombes regroupées en tumulus. Parfaitement conservées en raison du climat froid et sec, ces sépultures ont d’ores et déjà livré aux archéologues de nombreux secrets sur le mode de vie de ces populations. Aujourd’hui conservés en partie au musée de l’Ermitage de Saint-Petersbourg (fouilles de Pazyryk), les momies et les objets font toutefois l’objet de revendications identitaires de la part des populations de l’Altaï qui s’estiment dépossédées de leur propre patrimoine.

Des cultures et des patrimoines à mettre en valeur

Aujourd’hui, la république vit essentiellement de ses ressources naturelles  : industries forestières et minières, hydroélectricité avec les barrages de Bukhtarma et d’Öskermen, agriculture et élevage. Auxquelles les élus aimeraient en rajouter une nouvelle  : le tourisme de découverte. L’aménagement de certains sites proches des grands centres urbains a d’ailleurs déjà commencé et celui qui a voyagé un peu en Russie sous le régime soviétique ne retrouverait pas ses marques dans un pays dont les modes de fonctionnement ont été radicalement bouleversés. De petits villages de vacances ont ainsi ouvert leurs portes dans les basses vallées de l’Altaï, comme à Manzherock sur les berges de la fougueuse rivière Katun. De jolies constructions tout en bois accueillent le visiteur à qui l’on propose de pratiquer le raft ou la randonnée pédestre ou équestre. En attendant la future station de sports d’hiver qui pourrait sortir de terre dans les années à venir sur un site proche au bord d’un lac.

Pour s’essayer à l’alpinisme, il faut toutefois rejoindre le bout du bout de la tchouyskyi trakt , là où les sommets flirtent avec les 4 000 mètres d’altitude. On a ainsi installé deux camps de base en dur au pied du Belukha ainsi qu’à Aktru. Si le choix du premier site doit beaucoup au prestige de la plus haute montagne de la Sibérie, le second nous ramène à Tomsk. C’est en effet à proximité des glaciers d’Aktru, à 2 150 mètres d’altitude, que les scientifiques de l’université d’État ont construit, dès le début du siècle dernier, leur première station d’étude géographique. Au programme  : glaciologie, climatologie, hydrologie et biologie. Aujourd’hui encore, des chercheurs se relaient tout au long de l’année dans ce havre difficile d’accès situé à plusieurs dizaines de kilomètres de la seule route carrossable et que l’on ne peut rejoindre qu’avec l’un de ces véhicules à quatre ou six roues motrices dont les Russes ont le secret.

Sur place, l’amateur d’alpinisme ne sera pas dépaysé. Plusieurs courses de différents niveaux sont à portée de piolet et l’hébergement au camp de base est de bonne qualité avec ses chalets en bois tout récemment construits, son refuge pour la restauration et les fameux banyias russes qui rappellent les saunas scandinaves. Seul bémol, l’isolement. Justement. À quoi bon supporter une journée de vol aérien et deux autres de voiture sur la tchouyskyi trakt pour se retrouver dans les Alpes  ? Les contacts avec les habitants de l’Altaï se résument en effet à quelques silhouettes furtivement entr’aperçues sur la route et à la présence de chauffeurs du cru pour les véhicules tout terrain. Du mode de vie de ces populations nomades en partie sédentarisées, de leurs cultures, de leurs imaginaires, de leurs croyances qui mélangent allègrement bouddhisme, chamanisme, chrétienté et islam, nous ne saurons rien ou presque.

Reste qu’avant de séduire des visiteurs occidentaux, ceux qui tentent aujourd’hui de promouvoir le tourisme et les sports de montagne en Altaï devraient bien se rappeler que leur principal bassin de développement est à la porte même de la république. Un million et demi d’habitants à Novosibirsk, sans compter les alentours immédiats, c’est plus qu’il n’en faut pour faire vivre une activité économique de découverte dans cette petite région. Mais ça, c’est une autre histoire…

Pascal Kober

L’Altaï vu par le renifleur du temps

Très peu de ressources disponibles sur cette république de la fédération de Russie peu connue et surtout, encore ignorée des touristes. La plupart des sites (promalp.org, etc.) évoqués en 2005 ont disparu. Reste celui du Nicolas Roerich Museum, une institution new yorkaise dédiée au fameux peintre et explorateur russe (1874-1947) qui a vécu plus de quarante ans dans la région de l’Altaï.
• À lire pour se mettre dans l’ambiance (plutôt versant Mongolie), les ouvrages de l’écrivain nomade touva Galsan Tschinag (Ciel bleu, une enfance dans le haut Altaï , La Montagne blanche, etc.) parus aux éditions Anne-Marie Métailié.
• Terres d’Aventure est l’un des rares voyagistes à proposer un beau circuit de 23 jours pour partir à la découverte de l’Altaï.
• Merci à Monique Marchal, de Montanea, sans qui cette plongée en terres d’Altaï n’aurait pas été possible.
• Reportage publié dans le numéro 27, daté printemps 2005, de la revue L’Alpe.

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Suède : Stockholm Jazz Festival

Il y aurait plus de cinq cents big bands en Suède ! Un dans chaque bourgade. Ou presque. Le chiffre n’est pas avéré mais vu la vitalité de la scène locale, on est tenté de l’accréditer. À Stockholm, dont le festival de jazz est pourtant dirigé par un Américain, plus de la moitié des formations sont issues des pays scandinaves. Et pas pour y faire de la figuration : lorsque le tromboniste Nils Landgren se produit, c’est devant plus de dix mille spectateurs. Il faut dire que la capitale suédoise fait bel accueil à l’art : musées en pagaille, concerts gratuits dans les nombreux parcs de la cité, expositions en extérieur et une myriade de structures (galeries photos, centre des arts, maison de la musique) qui irriguent la vie culturelle de la ville. La ville, justement, l’une des plus belles du monde, qui se déploie entre un grand lac et un gigantesque archipel composé de milliers d’îlots.

Sur l’un deux, Skeppsholmen, à quelques encablures d’un parc de sculptures contemporaines et du musée de l’Extrême-Orient, sont ancrés plusieurs bateaux historiques dont, un peu plus loin, l’époustouflant Vasa, navire de guerre du XVIIe siècle miraculeusement sauvé des eaux du port dans les années 1960. C’est là que bat le cœur du festival sur une grande scène située en plein air face à la mer. Un site complété par les belles salles de la Concerthuset dans le centre ville moderne ainsi que par quelques clubs qui ouvrent leur portes after hours. Le tout dans une géographie qui se parcourt à pied (ou en bateau !), comme il se doit dans une cité qui proscrit autant que faire se peut l’usage de l’automobile.

À la Concerthuset, donc, les concerts plus intimistes et le jazz scandinave. Ulf Wakenius, tout d’abord, guitariste vedette en Suède depuis qu’il accompagne Oscar Peterson. À l’écouter ici, on comprend pourquoi le pianiste l’a choisi. D’un bout à l’autre, une grande leçon de swing et d’harmonie où l’agilité technique reste toujours au service de la mélodie, en particulier dans ses relectures de standards en solo intégral (What are you doing the rest of your life). Mêmes appréciations pour le trompettiste Magnus Broo dans un registre plus proche de celui de McCoy Tyner ou encore pour le trio, très lyrique, du pianiste Lars Jansson. Il y avait là, en somme, la crème des jazzmen nordiques, y compris du côté des sidemen.

L’ouverture du festival se déroulait au stade olympique avec l’une des rares apparitions de Stevie Wonder en Europe cet été. Un show en demi-teinte car si le pianiste reste une formidable machine à groove, il était ici secondé par des musiciens (et notamment un second clavier superfétatoire) pas du tout à sa hauteur. On se plaît alors à rêver d’une prestation solo qui donnerait une autre couleur aux Song for my father et autres Giant steps entendus ce soir-là.

Sur l’île de Skeppsholmen, les festivités démarrent à 17 heures pour s’achever fort tard dans une nuit qui semble toujours vouloir embrasser à la fois aube et crépuscule. Indéniablement l’un des charmes, septentrionaux (et ils sont nombreux…), de ce doux festival. L’affiche de cet espace est plus éclectique. Résolument contemporaine au musée d’art moderne qui jouxte les lieux : on a pu y écouter les rêveries du pianiste canadien Jon Ballantyne sur des images (issues des collections du musée) de William Klein et autres Doisneau. Crescendo, en revanche (au moins en ce qui concerne le volume sonore), sur la scène en plein air avec du jazz dans l’après-midi et des musiques plus dansantes (Bonnie Rait, Van Morrison, Randy Brecker, Angie Stone, etc.) à mesure qu’avance la soirée. Le tout sur la base de sets très courts : généralement à peine une heure et sans aucune balance, ce qui confine à l’exploit eu égard à la qualité de la sonorisation de l’ensemble.

Ne jetons pas la pierre aux organisateurs car, en dépit de ces stars dont la musique est parfois fort éloignée du jazz, il reste bien de très nombreuses perles dans cette programmation. Au fil des jours, l’excellent ténor suédois Karl Martin Almqvist, l’étonnant mariage entre la note bleue du pianiste Ian McGregor Smith et les harmonies japonaises du groupe Shikandaza de Kyoto, Carla Cook qui a bien failli chanter avec les mouettes du port de Stockholm comme Ella l’avait fait en 1964 avec les cigales d’Antibes ou encore le groupe très mainstream de l’organiste Kevin Dean où officie, et fort joliment, le… patron du festival, John Nugent, au saxophone.

Mes coups de cœur de cette édition vont toutefois à trois formations nordiques. D’abord, celle de la chanteuse Rigmor Gustafsson, une voix singulière qui ancre ses propres compositions dans un jazz orthodoxe tout en se permettant de voluptueuses incursions vers des thèmes inattendus comme Fever ou Ne me quitte pas. Jacky Terrasson ne s’y est pas trompé qui vient tout juste d’enregistrer un disque en duo avec elle. Dans un registre proche, on a un peu rapidement catalogué Viktoria Tolstoy en «  produit marketing » en raison de la communication réalisée par son label discographique (Act) autour d’un joli minois. Rien ne sert pourtant de « surproduire » une chanteuse pour lui donner des airs de Diana Krall quand les qualités intrinsèques de la musicienne suffisent à notre bonheur d’amateur de jazz. Enfin, on retiendra Kvalda, le quartet finlandais qui a gagné le concours des jeunes orchestres scandinaves. Un groupe qui swingue tout en sachant conserver ce son de l’au-delà du cercle polaire avec une vocaliste qui improvise remarquablement en longue notes tenues.

Côté clubs, pour finir, il faut évoquer le remarquable travail de longue haleine du Fasching pour faire exister le jazz toute l’année dans la capitale suédoise. Deux disques « faits maison » ont été enregistrés ici avec des musiciens comme Scott Hamilton et Red Mitchell et la salle, étonnante car toute en longueur, accueillait cet été le groupe du guitariste Kurt Rosenwinkel avec (excusez du peu !) Aaron Goldberg, Larry Grenadier, Ali Jackson et Joshua Redman. Au bar du Scandic enfin, c’est la verve de l’excellente chanteuse LaGaylia Frazier qui, sur un répertoire très funky, a emporté l’adhésion du public en même temps que les dernières bières de festivaliers et festivalières, Suédois de l’île de Ven, mais aussi Russes et Américains, qui se sont promis d’en reboire une de concert l’année prochaine. Isn’t she lovely ? Mais ça, c’est une autre histoire…

Pascal Kober

21e Stockholm Jazz Festival, du 17 au 24 juillet 2004. Chronique publiée dans le numéro 615, daté novembre 2004 de la revue Jazz Hot.

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La vie extraordinaire et tragique de Jaco Pastorius

C’est le titre de la traduction française de l’ouvrage d’un journaliste du magazine étasunien Downbeat, enfin publiée (huit ans après !) chez un éditeur helvétique par ailleurs connu pour l’excellence de son travail de vulgarisation dans le domaine de… l’archéologie ! L’amateur de Pastorius (j’en suis…) en attend beaucoup et en ressort pour le moins circonspect. Car s’il s’agit là, indubitablement, d’une belle somme d’informations sur l’autoproclamé « plus grand bassiste du monde », ce travail manque singulièrement de mise en perspective pour que le lecteur puisse comprendre les véritables apports musicaux de Pastorius à la pratique actuelle de la basse électrique. N’est pas historien ni musicologue qui veut et Bill Milkowski se contente ici d’aligner les anecdotes, directement recueillies auprès du bassiste dont il était très proche jusqu’à sa disparition tragique (il fut battu à mort par le vigile d’un bar en 1987) ou auprès de musiciens qui le fréquentèrent au fil de sa fulgurante carrière (1975-1983 pour sa partie la plus féconde). Le résultat : une biographie très linéaire, trop bavarde, parfois répétitive et qui fait fi de tout sens de la hiérarchie éditoriale : au fond, on se fiche complètement de savoir que Jaco a pris un hamburger avec le batteur Bobby Economou avant l’un de ses concerts à Fort Lauderdale en Floride (page 39) mais on aimerait, en revanche, en apprendre davantage sur la réalisation de son premier album pour Epic en 1976, même (et surtout) s’il ne s’agit pas là de sa meilleure réalisation. On retiendra toutefois quelques informations intéressantes sur les coulisses de ses exploits, notamment lors de sa période la plus créative avec le groupe Weather Report, la chanteuse Joni Mitchell (et son fabuleux hommage au contrebassiste Charles Mingus) ou encore les premières années de son propre big band, Word of mouth. Ainsi qu’un court et passionnant paragraphe sur certains disques posthumes qui pose un éclairage inattendu sur des productions indignes dont la publication aurait toutefois aidé la veuve et les enfants de Pastorius à subvenir à leurs besoins. Pour le reste, plus de la moitié de cette biographie se complaît à décrire par le menu, mais encore une fois sans l’analyser, la lente descente aux enfers d’un artiste miné par la drogue, l’alcool et son état dépressif. Suivent quelques témoignages (convenus) de musiciens qui l’ont côtoyés, une série d’images, banales pour l’essentiel, une reproduction de partition, un index ainsi qu’une discographie sommairement commentée mise à jour en 2003. En somme, un ouvrage indispensable aux amoureux du jeu de Jaco (et ils sont nombreux). Les autres peuvent sauter cet épisode en attendant le livre sur Pastorius.

Pascal Kober

Par Bill Milkowski, éditions infolio, Lausanne, 2003, 258 pages.

Chronique publiée dans le numéro 610, daté mai 2004, de la revue Jazz Hot.

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Laurence Revey : à fleur de peau

Laurence Revey, chanteuse valaisanne, croise sommets suisses et Alpes d’ailleurs, instrumentations traditionnelles et audaces rythmiques, savoirs de l’ethnologue Bernard Crettaz et programmations musicales d’Hector Zazou. Fée des villes ou fée des champs ? Réponse en forme de portrait.

Photos : Serge Hoeltschi - Monokini

Elle est entrée au Terminus, a salué à la cantonade quelques ami(e)s attablés de-ci de-là avant de jeter un regard circulaire sur la salle. Et de vous décocher un sourire large comme ça en lançant un « Je me réjouis ! » Puis, elle a commandé un cynorhodon. Coutume, que de boire cette tisane d’un rouge ardent à Sierre, canton du Valais, confédération helvétique, à la presque frontière entre la Suisse romande et les cantons germanophones.

Laurence Revey, chanteuse du monde, est ici sur ses terres. Au fil de ses rencontres en Grande-Bretagne, en Islande ou en Norvège, elle a certes fait appel aux meilleurs musiciens internationaux pour peaufiner ses productions discographiques (Nils Pietter Molvaer, Bugge Wesseltoft et autres Hector Zazou, « ma quête nordique », dit-elle). Durant la dernière décennie, elle a bien écumé les scènes allemandes, françaises, italiennes et bientôt brésiliennes pour y distiller son chant alpin inouï. Mais elle est ici sur ses terres. Au cœur des Alpes.

Le titre de son dernier opus ne prête guère à confusion : Le cliot di tsèrafouin est la traduction en patois valaisan du « creux des fées », une vieille légende du cru qui conte l’aventure heureuse d’un montagnard tombé amoureux d’une fée. Banal disque folklorique ? Pas le moins du monde. Car si les Alpes sont bel et bien présentes dans le choix des mélodies et jusqu’aux tréfonds des textes, la planète entière (et une planète plutôt urbaine) s’invite dans cette joyeuse alchimie harmonique. Alors, quoi ? Énième avatar d’une world music qui ne sait plus où donner de la tête ? Pas davantage. Nous sommes ici à mille lieues du métissage complaisant ou du naïf (quand il n’est pas prédateur…) collage de cultures.

D’où l’envie d’une rencontre. Qui peut bien se cacher derrière ce visage trop lisse apparaissant au détour d’une forêt profonde sur la pochette d’un disque ? D’où, aussi, l’étonnement quant à la tanière de la belle. On l’attend dans un restaurant branché à Genève, Londres ou Paris et elle, elle commande un cynorhodon dans un bar en face de la gare de Sierre, Valais. On l’imagine vivre dans un chalet d’alpage en bois et elle, elle réside en appartement dans un petit bloc d’immeubles modernes d’une bourgade qui n’a rien d’alpin. Paradoxes ? Pas sûr. Plutôt des clés pour mieux pénétrer l’univers de la chanteuse.

Accoucheuse des âmes

Pour le citadin, Sierre, c’est le bout du monde. Pour l’amoureux de l’alpe, c’est le bonheur à quelques lacets de la station très huppée de Crans-Montana ou des charmes désuets du val d’Anniviers. À l’exacte distance, pour Laurence Revey, entre un monde qui bouge (parfois si vite) et une histoire qui ne doit surtout pas être un enracinement. Deux antipodes dont s’abreuve son art et qui transparaissent avec force dans son dernier disque. À l’échelle locale, Sierre, c’est encore le versant urbain d’une montagne rurale qui, même en Suisse, n’en finit pas d’agoniser. « Dans cette région paysanne, la notion d’art, sociologiquement parlant, ça se vit comme un passion, en dehors d’une activité normale. J’ai grandi en n’imaginant pas du tout qu’artiste pouvait être un métier. »

Dans le val d’Anniviers, habitait sa « grand’maman ». Une mamie qui regardait l’arrivée de l’électricité dans son village d’un œil dubitatif, qui a toujours refusé l’eau courante, qui parlait uniquement le patois valaisan et dont Laurence ne comprenait pas le mode de vie : « Je suis une enfant de la ville, gavée aux émissions de télévision, et je ne parle pas patois. Nous ne communiquions donc quasiment sur rien puisque nous n’avions pas les codes. Plus tard, je me suis rendue compte qu’il avait manqué une génération dans la transmission des racines. C’est ça qui m’a intrigué et qui m’a fait me pencher sur mon identité personnelle. »

Un choc qui, au fil des années, lui donnera l’envie d’aller voir ailleurs. Ce sera d’abord une initiation au théâtre, puis l’illumination de la première scène avec cet unique spot rouge qui vous mange le regard et plonge celui des spectateurs dans le noir absolu, le vertige des tréteaux, la vie qui va, qui pousse, la vie d’ici, puis d’autre part, de Paris, de l’Afrique, des Balkans ou de la Scandinavie : « J’ai alors abandonné tous mes projets de vie raisonnable. Je voulais être accoucheuse. Je suis devenue accoucheuse des âmes. C’est à peu près la même chose… »

Sierre, c’est enfin le versant cocon d’une urbanité qui, parfois, lui pèse. L’échappée belle qui permet de souffler, de relier les fils des liens familiaux et d’étancher cette soif des éléments. L’eau, la montagne, l’air, la forêt surtout, sans lesquels Laurence Revey ne serait pas la même. Et qui lui sont sources d’inspiration. Elle a peur de ses propres mots ? Le patois valaisan lui fera parure. Ni cache-sexe, ni nostalgie. Juste la certitude que là se niche « un langage qui m’est intime, une charge organique qui parle au ventre, dans une langue vivante pendant des siècles et qui n’est pas encore tout à fait morte. » Pudeur ? « Au départ, oui. À la montagnarde. Il y a des choses que l’on ne dit pas si facilement… »

Ne surtout pas respecter la tradition

Et puisque la chanteuse ne fait rien à moitié, elle ira jusqu’au bout de ses engagements artistiques, s’attachant la participation de patoisans notoires (le conteur Claudy des Briesses), de musiciens (Gabriel Yacoub, du groupe Malicorne) ou encore de scientifiques (Bernard Crettaz ou Isabelle Raboud) : « Tous m’ont encouragé à ne pas respecter la moindre idée de tradition. C’est une démarche créative et non ethnographique. J’ai ainsi trouvé, dans les montagnes, beaucoup de chansons de l’époque napoléonienne, des histoires de guerre dans les Balkans qui étaient probablement l’équivalent des séries américaines d’aujourd’hui. Mais ce n’est pas ce que je voulais. Je cherchais des stimulations. »

Qu’elle a trouvées. Et si le résultat de cette quête est si enthousiasmant sur le plan musical, c’est qu’à aucun moment, Laurence Revey n’a tenté de s’approprier cette tradition valaisanne séculaire. Elle l’a d’abord nourrie de ses expériences aux quatre coins du monde avant d’en proposer sa propre lecture, singulière et dérangeante : « Je n’ai pas fait un retour au pays. Ce disque, je l’ai composé à Paris. En grande partie dans le métro. Le travail nait systématiquement du mélange entre deux terres. Les grandes crises identitaires, par exemple chez les gens d’origine maghrébines, naissent aussi du fait qu’on a les pieds entre deux cultures. »

Le public ne s’y est pas trompé : plus de dix mille disques vendus sur la seule Suisse, essentiellement romande. Rapporté à la population française, un tel chiffre signerait un disque d’or (plus de cent mille exemplaires). Mais de ce côté-ci des Alpes, personne ne connaît Laurence Revey. Elle a fini son cynorhodon, rouge, et a lancé un « À tout bientôt ». Ce bientôt, ce sera au Musée dauphinois, en duo, pour un « retour, avec les battements et le cri, à l’origine du son ». Nous, on se réjouit. Mais ça, c’est une autre histoire…

Pascal Kober

REVEY(LATION)

Le chant de l’alpe

Nul ne renoncerait à suivre cette fée au cœur de ses montagnes car le charme opère dès les premières mesures du disque de Laurence Revey : une voix littéralement inouïe dans les chants du monde alpin. Mais au fond, s’agit-il encore d’alpinité ? Car si langue et contexte de narration nous ramènent bien au territoire, aux hommes, aux femmes et à leurs patrimoines (le patois et les légendes valaisannes), l’expression artistique, elle, tout comme le savoir-faire et le langage musical, évoluent résolument dans un mouvement de création qui flirte avec l’improvisation et les polyphonies contemporaines. Non-identifiable donc et pourtant si terriblement séduisante, la chanteuse incarne à merveille une déclinaison sonore de l’esprit même de cette revue. Cultures et patrimoines de l’Europe alpine, aimons-nous à dire. Laurence Revey, elle, nous le susurre à l’oreille. À sa manière délicate qui fait se rencontrer, dans un saisissant raccourci géographique, sommets suisses et Alpes d’ailleurs, textes du conteur helvétique Claudy des Briesses et programmations d’Hector Zazou (toujours inspiré par le septentrion), instrumentations traditionnelles et audaces rythmiques du sorcier des sons Bugge Wesseltoft. Pour s’en convaincre, on écoutera la tendresse de ce clair de lune amoureux sur Dë l’âtri lâ, la musique des mots, si proche et pourtant si exotique, de la berceuse Breche Lo (réinventée, et de quelle brillante façon, dans la version remixes), l’extraordinaire étude contrapunctique sur Colchiques dans les prés ou encore Rossignolet, ce chant valaisan où la belle (se) joue d’élégantes (et très perturbantes) dissonances vocales. Du grand art dont nous reparlerons. Et puisque se présentent au générique de cet opus, des compagnons de L’Alpe comme l’ethnologue Isabelle Raboud-Schule ou l’historien Jean-Henry Papilloud, on se dit que nous nous trouvons ici en pays ami et qu’il est doux de le découvrir en si charmante compagnie. Une bal(l)ade buissonnière à fleur de peau.

Le creux des fées (Laurence Revey) et Le creux des fées, the remixes. CD audios Muve 901662 et 902092 (distribution française : Night & Day). À découvrir aussi le 13 juillet 2003 aux Francofolies de La Rochelle. Extraits musicaux sur le site Internet de Laurence Revey.

Portrait publié dans le numéro 22, daté hiver 2004, de la revue L’Alpe.

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Intermittents : l’imagination au pouvoir ?

João Gilberto. Jazz à Vienne. Samedi 28 juin. © Photo 2003 : Pascal Kober.

João Gilberto

Il a soixante-douze ans. Pour seules armes, sa guitare et sa voix. Ce samedi 28 juin 2003, face à ce que Claude Nougaro qualifiait de « tapisserie d’humanités », face à ces milliers de spectateurs assis en rangs serrés sur les gradins de pierre du théâtre antique romain de Vienne (France), João Gilberto a été contraint de quitter la scène après quelques dizaines de minutes de concert. De trop courtes minutes durant lesquelles les douces mélodies de l’un des inventeurs de la bossa nova, compagnon, dans les années 1960, du grand Stan Getz, n’ont pu résister au concert de klaxons, cornes de brume et autres hurlements d’une poignée d’intermittents du spectacle. Auparavant, la soirée avait commencé avec plus d’une demi-heure de retard. Le temps de faire entrer tous les spectateurs bloqués à l’entrée par ladite poignée (d’intermittents), de donner la parole, sur scène, à ceux de Jazz à Vienne eux-mêmes et de faire défiler leur texte sur les écrans géants du festival. Auparavant, le pianiste japonais Ryuichi Sakamoto et le quartet Morelenbaum avaient tenu, contre vents et marées, leur relecture des thèmes de Tom Jobim. Une performance chaleureusement saluée par de très longues minutes d’applaudissements.

Intermittents du spectacle pendant le concert de João Gilberto. Jazz à Vienne. Samedi 28 juin. © Photo 2003 : Pascal Kober.Pas sûr que la cause défendue sorte grandie de cette manifestation de mépris pour la musique. Sûr, en revanche, qu’il y avait là erreur évidente sur la cible. Ce samedi, quelques intermittents du spectacle ont froissé des milliers de personnes dont la réaction, à l’issue de la lecture des revendications, démontrait pourtant l’adhésion à leur lutte. Ce samedi, on a entendu des amateurs de jazz demander la charge des CRS. Demain, quel nouveau 21 avril 2002 calamiteux nous prépare-t-on ainsi ? Ce samedi, quelques intermittents du spectacle ont censuré l’expression d’un artiste, l’expression de l’un des leurs. Avec facilité. En choisissant la victime la plus faible. Celle dont la prestation en solo, à peine amplifiée, ne supporte pas le moindre bruit. Demain, oseront-ils s’en prendre aux mégawatts et au service d’ordre musclé de la dernière star du show-business à la mode ? Ce samedi, en somme, cette manière de faire relevait du suicide collectif. Surtout, elle ne gênait en rien ceux qui détiennent les clés pour sortir de cette crise : dirigeants du Mouvement des entreprises de France (MEDEF), autres syndicats et gouvernement. Lorsque mon papa, ouvrier, communiste, faisait grève il y a une quarantaine d’années, ce sont les patrons de l’industrie sidérurgique qu’il exaspérait. La méthode de combat était juste. Et efficace.

Intermittents du spectacle, il vous faut, aujourd’hui, utiliser vos propres armes. Et elles sont nombreuses. Envahissez les manifestations organisées par ceux-là même qui ne veulent plus vous écouter, envoyez les cracheurs de feu à l’Assemblée nationale, organisez des happenings de comédiens dans les congrès du MEDEF, créez le contre-festival des festivals en plein centre de la place de la Concorde, investissez la télévision (où vous êtes, nous dit-on, si nombreux) pour faire entendre votre parole de façon ludique, mais de grâce, ne vous mettez pas le public à dos. Imaginez : si les instituteurs, plutôt que d’annuler leurs cours, contraignant des millions de parents à grignoter leurs jours de congés, si ces instituteurs avaient enseigné, durant cette dizaine de jours de grève, l’histoire des syndicats, les bagarres de la France d’en bas contre la France d’en haut… Une révolte ? Non, une révolution.

À vous d’inventer de nouvelles formes d’action, à vous de vous mettre en scène avec intelligence, à vous de porter au pouvoir cette imagination sans laquelle vous n’existeriez plus, cette imagination qui est votre passion, votre raison de vivre et votre pain quotidien. Montrez-nous que vous avez encore la capacité de nous émouvoir et de nous surprendre. Montrez-nous, en somme, qu’avant d’être « intermittents », vous êtes, d’abord, « du spectacle ».

Pascal Kober

Chronique publiée par le quotidien Le Monde.

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Canada : Festival jazz et blues d’Edmunston

Edmunston Band. Nouveau-Brunswick, Canada.Voir aussi une sélection d’images en bas de page.

Il n’y a plus d’orchestre municipal à Edmunston, région du Madawaska, province (francophone et francophile) du Nouveau-Brunswick. Belle lurette déjà que la bourgade alanguie sur les berges du fleuve Saint-Jean ne peut plus s’enorgueillir de l’existence de « la seule fanfare de filles de tout le Canada ». Alors, puisqu’il n’y a plus de musique à Edmundston, Gilles Guerrette a décidé de créer son festival de jazz. Vu de ce côté-ci de l’Atlantique, on se demande ce qui, dans la patrie du gigantesquissime festival de Montréal, peut bien animer à ce point une si petite ville située aux portes de l’état américain du Maine. Et on n’est pas déçu.

Thomy Valdes, batteur français, papy depuis peu, était de la première édition du festival d’Edmundston en 1994. Déjà avec son groupe, Thomy & co. Thomy et ses copains. Déjà, il avait fait danser toute la ville. Dix ans plus tard, les copains ont changé mais l’intention, elle, reste la même. Aujourd’hui, ils sont cinq sur la belle scène de la place de l’hôtel de ville : Rodolphe Guillard qui, plus que tout, aime le versant lyrique du saxophone soprano et le fait si bien chanter ; Pierre Reboulleau, pianiste bastiais au jeu véloce et qui ne dédaigne pas les claviers électroniques ; Jérôme Regard-Jacobez, qui sait ce que le mot groove veut dire et le tricote avec agilité sur sa Jazz Bass ; Philippe Valdes, grand voyageur, percussionniste amoureux fou de l’Afrique ; et Thomy Valdes, bien sûr.

Thomy, c’est ce diable de bonhomme qui m’avait fait rencontrer la note bleue soviétique. C’était en 1990 et la revue Jazz Hot avait alors consacré (dans son numéro 487, daté mars 1992) un grand reportage à cette échappée belle en Russie. Thomy, c’est aussi celui qui, contre vents et marées, réussit à faire programmer un concert de son groupe durant plus d’une heure sur M6 et tourner avec ses musiciens là où d’autres auraient déjà renoncé : festivals de Vienne ou de Rimouski, Slovaquie, Turquie, république tchèque, etc. Thomy, c’est un hymne à la vie à lui tout seul : bon batteur, pas mauvais entertainer lorsqu’il se met à scatter pour faire bouger une salle, toujours dans l’action, fut-elle parfois joyeusement improvisée.

Edmundston, c’était donc une manière de retour. Il le savait bien, Thomy, qui avait déjà mitonné son programme : musique et à-côtés : tournage vidéo avec l’ami réalisateur Pierre Mesnier, sweat lodge à l’indienne (la loge de la sueur, une sorte de sauna mâtiné de mysticisme) avec Jeanine, medecine woman, et Gilles, son maître du feu mic-mac et enfin, et surtout, huit représentations, pas moins, en quatre jours ! Nulle part ailleurs, dans aucun autre festival, on ne voit ça. Quelques minutes à peine pour les essais de son et c’est parti pour une heure de concert, aussitôt suivie d’une autre formation. De 11 heures jusqu’à 1 heure du matin, les groupes enchaînent ainsi leurs prestations sans interruption.

Et le public en redemande. Plutôt familial et clairsemé dans l’après-midi, bambins et grands parents gentiment réunis sur la pelouse, résolument jeune à mesure qu’avance la soirée, pour finir au bout de la nuit sur une piste de danse informelle en bord de scène. Il faut dire que le programme est à l’avenant avec des formations qui alternent le tréfonds des racines blues du continent américain, les fanfares façon Nouvelle-Orleans (manière de faire un clin d’œil aux filles du band d’Edmundston) et les toujours très consensuelles (en ce pays farouchement acadien) mélodies cajun. Et le jazz, me direz-vous ? Toujours présent mais au filtre d’une affiche qui essaie de ratisser large. Objectif : « intéresser les jeunes des écoles, impliquer les familles et finalement, faire mieux comprendre le jazz à la communauté ». Gilles Guerrette, responsable du comité de la programmation, lui-même pianiste, n’est pas peu fier de son œuvre : « Avant, chez nous autres, le jazz, ça faisait peur. On préférait le blues pour le côté party. Mais maintenant, au bout de dix éditions du festival, nos concitoyens commencent à l’apprécier. Nous réunissons vingt mille amateurs chaque année ! »

Entre temps, des musiciens comme le pianiste montréalais Oliver Jones ou la chanteuse new-yorkaise Ranee Lee sont venus «  évangéliser » le public d’Edmundston. Résultat : on applaudit à tout rompre aux pitreries de Sax-O-Matic, un remarquable ensemble de saxophone, pêchu et rigolard, qui sait bricoler les thèmes de Pastorius tout autant que ceux de… Michael Jackson. On apprécie à sa juste valeur les jolis arrangements des jeunes étudiants de Jazz Tonic et on tombe immédiatement en amour avec chacune des quatre Muses, un quartet vocal aux harmonies finement ciselées.

Thomy l’a bien compris qui, immédiatement, intègre à son répertoire habituel plutôt centré sur de toniques compositions personnelles, un Autumn leaves de derrière les fagots. Le groupe n’a pourtant pas vraiment besoin de jouer le grand jeu de la séduction pour emporter l’adhésion du public canadien. Car tout, dans la présence du batteur-chanteur comme dans celle de ses musiciens, tourne autour d’un jazz qui n’oublie jamais la danse, le swing et l’énergie. Et ça marche évidemment. Parce que le cœur y est, tout comme cette furieuse envie de jouer en dépit de conditions météorologiques pas toujours très favorables.

Les incantations aux mânes des Indiens lors de la sweat lodge n’y auront rien changé mais c’est peut-être donner trop de sens à cet exotisme-là que de penser que vingt-quatre heures de tribulations suffisent à saisir l’âme d’un pays. Auto, avion, escale à Francfort, avion et auto de nouveau (plusieurs centaines de kilomètres entre Montréal et Edmundston), ça vous fatigue surtout un voyageur. Dans la petite ville du Nouveau-Brunswick, l’heure était donc davantage au repos des corps pour préparer les agapes des concerts et des nombreux bœufs ayant émaillé quelques nuits mémorables. Et à la découverte d’un univers somme toute pas si familier en dépit des nombreuses similitudes entre cultures européennes et nord-américaines. Là comme ailleurs, dans ce domaine (celui du jazz) comme dans bien d’autres, c’est l’humilité qui est la clé de la compréhension et de l’échange.

Pascal Kober

Festival jazz et blues d’Edmunston, 8, 44e avenue, Edmunston, Nouveau-Brunswick E3V 2Z9, Canada. Tél. : + 1 506.737.8188. Site Internet. Chronique publiée dans le numéro 612, daté juillet-août 2004, de la revue Jazz Hot.

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Éric Teruel fait chanter son piano

Au Japon, les amateurs de jazz adorent son jeu très lyrique, ses compositions léchées et la remarquable cohérence de son trio. Le pianiste lyonnais reste pourtant étonnamment méconnu des programmateurs français. La faute à l’orthodoxie ?

La mélodie est joliment troussée et vous trotte inlassablement dans la tête. Le swing s’affirme, omniprésent, et tire sans discontinuer la ritournelle vers l’avant comme s’il fallait rattraper le(s) temps. Les voicings dessinent une note bleue toute de lyrisme. C’est sûr, ce piano-là sait chanter, et de belle façon, sous les doigts d’Éric Teruel. Alors, on se dit que tout petit déjà, l’homme devait écouter les « galettes » de ses parents. Côté grand ancêtre, Bill Evans, peut-être Michel Petrucciani pour le versant moderne ou encore Ahmad Jamal pour les réunir tous. Perdu. C’est sur le tard (le très tard, même) que le pianiste lyonnais découvre le jazz. Au hasard d’un abonnement au festival de Vienne tout proche. Première soirée au théâtre antique. Premier pianiste. C’est Chick Corea en trio acoustique. « Ça m’a marqué mais… je n’ai vraiment rien compris ! D’abord, je pensais que les musiciens de jazz étaient tous morts. On nous en parlait toujours comme ça au Conservatoire. Et là, tout à coup, j’ai vu que ce n’était pas vrai, qu’ils étaient même bien vivants. Un univers se mettait en mouvement devant moi. »

Alors, pour apprendre, il va enchaîner les expériences. Goulûment. Son premier disque de jazz ? « J’ai fait très fort : c’était Ascension de John Coltrane ! » Une initiation peut-être un peu brutale pour quelqu’un qui sait à peine ce qu’est la blue note. Car chez Éric Teruel, l’aventure commence très sagement et très tôt. Le piano dès l’âge de quatre ans, une fratrie plutôt portée sur la portée : « Depuis tout petit, je les écoutais et je jouais donc, volontiers et naturellement, de petites mélodies de façon spontanée, sans me poser de questions, comme dans un jeu ». Une maman qui adore les romantiques, Brahms, Chopin et consorts. Et, bien sûr, les bancs du Conservatoire de Lyon en élève appliqué mais néanmoins insatisfait. À l’issue de son premier prix de piano classique, beaucoup de questionnements. Sur un avenir a priori tout tracé. Sur l’interprétation et l’improvisation. Sur l’écriture. Sur la musique de chambre. Sur ses propres capacités. Sur la vie, quoi.

Il lui faut alors aller voir ailleurs si ladite note est plus bleue. Ce sera l’Afrique. Par un concours de circonstances. Une annonce pour le recrutement d’un professeur de piano à Libreville, un coup de tête et c’est parti pour une riche confrontation entre l’enseignement très scolaire qu’il vient de connaître et la tradition orale des musiciens gabonais. « Là, j’ai découvert une autre approche, un autre langage et un rapport aux racines qui m’a frappé. Leur musique ne venait pas de nulle part. Il y avait une réelle histoire transmise de génération en génération avec un lien très fort. » Deux ans plus tard, c’est un autre Éric Teruel qui rentre à Lyon, avide de rencontres avec d’autres instrumentistes, ouvert à l’improvisation et plus que jamais curieux de tout. « Ce que j’ai appris en Afrique, c’est cette façon d’aborder la musique avec des mots simples et très imagés. » Si les jalons du parcours sont orthodoxes (le Hot Club, les concerts, les bœufs avec des amis de passage, le Real book), la manière, elle, est plutôt atypique. Les standards, certes. Mais comment s’approprier ces mélodies emblématiques tant jouées, souvent merveilleusement interprétées mais aussi parfois massacrées ? Le pianiste va renverser les habitudes, déchiffrant très consciencieusement les arrangements pour big band et en proposant une réduction pour clavier. « Aujourd’hui encore, je ne raisonne pas en terme de blocs d’accords mais en voix. » Des heures à aligner les accords. Des heures à tenter de faire sonner le piano comme une section de cuivres. Résultat ? Oubliée, la grille. Who can I turn to ? ne ressemble plus au standard interprété par Bill Evans. Mais surtout, Éric Teruel se forge au fil du temps une solide culture. Harmonique et historique.

Deux complices ne vont pas tarder à le rejoindre dans cette démarche exigeante et singulière. Une formidable rythmique. Le contrebassiste Patrick Maradan vient du monde du rock et de la pop. Dans cet univers-là, on aime les Beatles, on apprend tout seul et on commence par la basse électrique. Mais on s’aperçoit très vite que si l’on veut progresser, il va falloir acquérir quelques bases. Et travailler. Dur. À vingt ans, il s’inscrit donc au Conservatoire, recommence tout à zéro et décroche un premier prix en contrebasse jazz sans pour autant oublier l’harmonie et le contrepoint (aujourd’hui, Patrick Maradan compose également pour le trio). Un an plus tard, son chemin croise celui d’Éric Teruel. D’abord en duo. Depuis, il ne se sont plus quittés. Et s’ils participent, chacun, à d’autres formations musicales, la plus grande part de leur énergie, c’est dans le trio qu’elle s’investit. Idem pour Cédric Perrot, le batteur. Mais faut-il employer le terme de batteur pour cet homme-orchestre qui taquine ses peaux de la paume de la main et fait chanter ses cymbales ? Rarement entendu, sauf peut-être chez le gigantesque Max Roach, solo de batterie aussi passionnant que celui donné lors du concert du trio au Grenoble Jazz Festival en mars 2003. Pas un brin de bavardage, une dynamique époustouflante et, surtout, cette manière si personnelle d’explorer tous les modes d’expression de l’instrument. Lui aussi est avec Éric Teruel depuis le début.

Le début ? 1997. Six ans déjà. Sacrée longévité pour une telle formation. Un signe. Un signe qu’il y a du bonheur derrière ces années de travail. Un signe que les trois compères ne s’ennuient pas une seule seconde ensemble. Et ça, ça s’entend dès les premières notes. Un signe que ce qui les fait avancer, c’est une certaine quête de la perfection. Car si l’accent est mis (par commodité ?) sur le patronyme du pianiste, c’est bien à un véritable trio que l’on a affaire ici. Soudé, cohérent, homogène et à l’écoute. Le public et les professionnels ne s’y trompent d’ailleurs pas : finaliste au concours de jazz à Vienne en 1998, prix du public à Jazz à Vanves en 1999 et premier prix de « Suivez le jazz », un collectif rhodanien qui lui offre alors son premier enregistrement (Traboules pursuit) en l’an 2000. Les grands ne s’y trompent pas non plus. Martial Solal qui, peu de temps auparavant, avait initié le jeune Teruel aux délices et aux subtilités de l’improvisation, écrira quelques lignes élogieuses à la parution du premier disque. De même que Laurent Cugny. Belle paternité.

Aujourd’hui, le trio prépare l’enregistrement de son troisième album et une tournée en 2004 au… Japon ! Nul n’est prophète, etc. Car si un producteur du pays du soleil levant est capable de dénicher une improbable autoproduction lyonnaise au fil d’une escapade parisienne et de lui assurer une diffusion qui se chiffre en milliers d’exemplaires, on est en droit de se demander ce que font les programmateurs hexagonaux. Trop orthodoxe la musique du trio ? Trop hard bop ? Faut-il s’appeler Michel Petrucciani pour se retrouver à l’affiche des grands festivals ? Éric Teruel devra-t-il déménager à New York avec femmes en enfants pour gagner la notoriété d’un Jacky Terrasson ? Le pianiste lyonnais ne s’en émeut pas trop et reste serein, à l’image de sa personnalité. Mais tout de même, ce soir-là, au petit club de L’Étoile Royale, à deux pas des quais du Rhône, où Éric Teruel m’accueillait, nous étions deux à nous dire qu’il y a là quelque chose qui ne tourne pas tout à fait rond. Mais ça, c’est une autre histoire…

Pascal Kober

Discographie

• 1999. Éric Teruel trio, Traboules Pursuit, Trois fois plus 369 9901.

• 2002. Éric Teruel trio, Gone Away, Éditions RDC, label Cobra Bleu 640 102 2.

Site Internet

Portrait publié dans le numéro 602, daté juillet-août 2003 de la revue Jazz Hot.

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France : Grenoble Jazz Festival

Stefano Bollani. © 2003 Photo : Pascal Kober

Au creux de ces montagnes, le jazz est rarement là où on l’attend et c’est l’un des mérites de ce festival : surprendre. Prenez les pianistes. Luc Plouton en improvisateur très fin ou Stefano Bollani, en remarquable mélodiste, la citation facile, fougueux et lyrique dans sa manière de faire chanter les touches noires et blanches. Du jazz comme on l’adore, proposé, le premier, un dimanche après-midi dans un salon presque intimiste du château de Vizille, le second dans la semaine à midi ! Tous deux à entrée libre. Le public ne s’y trompe pas. Salle comble partout. Idem pour la soirée de clôture. En attendant la réouverture (en 2004 !) de la maison de la Culture dorénavant pilotée par Michel Orier, ancien patron de celle d’Amiens (et de Label Bleu), il n’existe plus de salle digne de ce nom à Grenoble pour accueillir un tel événement. Qu’à cela ne tienne, Jacques Panisset, directeur du festival, imagine une Rhône-Alpes Jazz Parade qui démarre l’après-midi dans la rue avec ces fous du Grotorkestre. L’amateur peu curieux fait la fine bouche : il y aurait déjà tant d’occasions d’écouter des régionaux… Grave erreur ! Deux des plus beaux concerts de cette édition se sont déroulés là. Celui du pianiste lyonnais Éric Téruel, un vrai bonheur de swing servi par une merveilleuse rythmique, mais aussi celui du duo de la chanteuse Nadia Lamarche et du pianiste Bob Revel sur un répertoire essentiellement composé de standards fort habilement détournés. Surprise : la veille, Brad Mehldau était en haut de l’affiche. Entre la retenue de l’Américain et le plaisir des autres, je n’hésite pas une seconde. Mais ce n’est pas ce que le programme pouvait laisser croire… Autre Américain de passage : James Carter. On en attendait beaucoup après le superbe hommage à Django qu’il avait donné ici-même il y a deux ans (voir le numéro 581 de Jazz Hot). Patatras. Le plus beau son de saxophone a renoué avec ses défauts de jeunesse : trop de notes et trop peu de musique dans ces deux heures trente d’exhibitionnisme. Surprise : le jazz, il fallait aller le chercher chez le Romain Stefano di Battista, dans les belles harmonies andalouses de Jean-Marie Machado, chez l’étonnant François Dumont d’Ayot, collectionneur de saxophones de son état (et excellent improvisateur), dans le quartet Nord de Jean-Luc Ponthieux, voire dans le troublant blues… africain du Marocain Majid Bekkas (Texier aurait apprécié…).

Parmi les bonheurs de cette édition, deux autres perles. À la demande du festival, Louis Sclavis avait invité le rappeur Dgiz. L’alliance contre-nature pouvait tourner au pire. Elle s’est révélée fructueuse. Paradoxalement, pas tant grâce au clarinettiste lyonnais qu’en raison de la démesure de certains de ses acolytes, Médéric Collignon jouant notamment à merveille le rôle de chaînon manquant entre deux univers musicaux a priori très éloignés. Une soirée déroutante et jubilatoire. Le sextet vocal Les Grandes Gueules, quant à lui, ne crie ni ne hurle. Expérimentations toutes en dentelles sur de subtiles harmonies, qualité de son époustouflante (grain de la voix, timbres, souffle, harmoniques, dynamique) servie par une technique rare qui sait s’effacer, justesse à toute épreuve, la scène jazz européenne a trouvé son Take 6. Cul béni en moins, les textes de cette formation faisant davantage référence (et c’est tant mieux) au grand Boby Lapointe. Reste à travailler un peu une mise en scène et en lumières plus libérée et à intégrer un ou deux standards. Lonely Woman d’Ornette Coleman leur irait si bien…

Enfin, Passages de l’alpe devait être l’un des temps forts de cette édition. Il le fut. Pour être tout à fait honnête, l’auteur de ces lignes, chef d’orchestre d’une revue, L’Alpe, consacrée aux cultures et au patrimoines de l’Europe alpine, doit annoncer qu’il a participé (certes modestement) à l’élaboration de ces trois journées censées mettre sur le devant de la scène des formations dont l’expression est fondée sur les musiques d’aujourd’hui (et accessoirement le jazz) mais aussi sur une appropriation d’un patrimoine alpin. Pari raté avec le Johnny Staccato Liberation Music Orchestra dont la création devait évoquer la traversée des Alpes par Hannibal. Musique intéressante mais on n’a pas vu un seul éléphant… Pari réussi en revanche par le saxophoniste Wolfgang Puschnig réinventant (et avec quel brio dans l’écriture) les chants traditionnels de sa province autrichienne de Carinthie. Pari réussi aussi avec Stimmhorn, surprenant duo helvétique mêlant l’accordéon, le bandonéon, la trompette, le cor des Alpes et la voix dans une prestation virtuose et littéralement inouïe. Les spectateurs sont sortis bouleversés de la chapelle baroque du Musée dauphinois dont les ors avaient rarement connu émotion aussi intense. Pari réussi enfin avec les très beaux concerts du duo Bugge Wesseltoft – Sidsel Endresen et du quartet danois Tys Tys. Si l’on veut bien toutefois considérer que la Scandinavie relève des Alpes d’ailleurs. Mais ça, c’est une autre histoire…

Pascal Kober

31e Grenoble Jazz Festival, du 14 au 29 mars 2003. Chronique publiée dans le numéro 601, daté juin 2003 de la revue Jazz Hot.

 

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Le sport…

À une interrogation d’un journaliste sur le secret de sa longévité alors qu’il venait tout juste de fêter ses quatre-vingt-dix ans, sir Winston Churchill, impassible, son éternel gros cigare entre les doigts et son verre de whisky dans l’autre main, aurait répondu cette belle formule  : « Mon secret ? Le sport, messieurs. Le sport… Jamais de sport ! » Qu’importe que ladite formule ne soit pas avérée ; je l’aime et je l’ai faite mienne depuis ma plus tendre enfance. Elle introduisait même un mien édito paru dans un numéro de ma revue L’Alpe consacré aux sports ;-)

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Maroc : Sarhro, djbel rebelle

Les Berbères Aït Atta furent les derniers à résister aux troupes françaises qui « pacifiaient » le protectorat. Aujourd’hui, ces farouches bergers transhument dans d’austères montagnes d’ocre pour échapper aux rigueurs de l’hiver dans le Haut-Atlas. Mais la neige les rattrape parfois sous les palmiers et les amandiers à deux pas des dunes sahariennes.

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Le sentier muletier longe l’oued et fleure bon la lavande. N’était ce lourd harnachement qui l’oblige à mesurer ses efforts, n’était ce sentiment ténu d’un danger toujours présent, toujours caché, le capitaine Georges Spillmann pourrait savourer ce doux paysage de granite rose ponctué, çà et là, de vertes oasis. Mais l’heure n’est pas à la rêverie bucolique. Car là haut, dans le djbel Sarhro, derrière ces grandes tours de grès sombre qui barrent l’horizon, se terre une poignée de rebelles qui narguent depuis trop longtemps les troupes françaises.

Le djbel Sarhro  ? Une virgule méridionale du Haut-Atlas, séparée de ce dernier par une profonde vallée. Virgule majuscule qui déroule ses formidables contreforts depuis le confluent des oueds Drâa et Dadès (aux portes de Ouarzazate) jusqu’aux confins du Sahara et à Erfoud, quelques deux cents kilomètres plus à l’est. À peine moins haut (le point culminant du massif est l’Amalou-n-Mansour à 2 712 mètres d’altitude), beaucoup plus austère et presque inhabité, le Sarhro est loin des grandes voies caravanières entre le désert et le nord du Maroc. Au coeur de ces montagnes aux reliefs tourmentés et difficiles à pénétrer, quelques nomades, les Aït Atta (ceux du pays Atta) font transhumer leurs chèvres et leurs moutons depuis la nuit des temps, passant les mois d’hiver sous le soleil du sud avant de rejoindre, l’été venu, les pâturages de l’Atlas.

« Une résistance désespérée et magnifique »

Nous sommes en 1933. Tout le Maroc est sous protectorat français depuis vingt-et-un ans. Enfin, presque tout le Maroc. Car la plupart des tribus Aït Atta résistent encore à la «  pacification » dans ces montagnes arides du djbel Sarhro. Et la vie n’est pas facile pour le capitaine Spillmann. Il le note alors dans son petit carnet  : « Il est difficile de définir les Aït Atta et de donner en quelques lignes un aperçu de leurs principaux traits de caractère. Plus on les connaît, plus on s’aperçoit, en effet, que toute affirmation à leur égard comporte un correctif (…) [ on les dit] pillards, coupeurs de routes, incapables d’affronter une bataille rangée, d’endurer des pertes  ; dans le Sarrho (sic), ils ont cependant opposé à nos troupes, très supérieures en nombre, en armement et en organisation, une résistance désespérée, magnifique, qui a forcé notre admiration. »

C’est à la fameuse bataille de Bou Gafer que l’officier fait ici référence. Près de deux mois de combats acharnés en plein hiver pour prendre un bastion de neige et de rocaille. D’un côté, plusieurs milliers hommes, de nombreux canons et quatre escadrilles de quarante-quatre avions basées à Ouarzazate. De l’autre, conduits par les frères Baslam, un peu moins d’un millier de nomades sommairement armés, des femmes et des enfants. Mais des rebelles. Qui, chaque fois qu’ils le peuvent, gênent la progression de l’armée française en harcelant ses positions. Le colonel Voinot en a assez  : « Les pillards se montrent très entreprenants  ; ils exécutent, à plusieurs reprises, des coups de main contre les tirailleurs employés aux travaux. Le Saghro (sic) est devenu le refuge des rôdeurs, qui circulent en bordure de la zone soumise. Par ailleurs, les nombreux irréductibles retirés au Saghro ne manquent aucune occasion de manifester leur hostilité  ; ils adressent des menaces de représailles aux notables, qui cherchent à composer avec nous. (…) Pour en finir, le Commandement décide, au mois de février 1933, de régler la question du Saghro avant les dernières opérations du Haut-Atlas. C’est a priori une grosse affaire car ce massif aride, difficile, est mal connu. »

L’entrée en résistance des tribus Aït Atta ne date pourtant pas de la signature du protectorat. Déjà, à la fin du siècle précédent, ces farouches nomades s’étaient opposés à la colonisation française via le sud de l’Algérie. Des combats sporadiques qui furent le prélude au grand rassemblement de Bou Gafer. Mais la décision de se retirer dans les montagnes inaccessibles du djbel Sarhro causa également la perte des rebelles. Coupés de toute communication avec l’extérieur du massif, harcelés jusque dans les rares points d’eau, les Aït Atta durent subir manoeuvres d’encerclements, pilonnages d’artillerie et bombardements aériens. En dépit de positions faciles à défendre sur le plateau des Aiguilles, où une poignée d’hommes étaient capables de tenir tête à tout un bataillon, ils sont obligés de capituler le 25 mars 1933. Ce sera le dernier des grands faits d’armes de la colonisation au Maroc. Dans son édition du 30 mai de la même année, la revue L’Illustration conclura avec condescendance  : « Éminemment farouches tout d’abord, [les tribus Aït Atta] n’ont pas tardé à changer l’attitude en voyant que l’on soignait leurs blessés et leurs malades, que des vivres et des vêtements leur étaient distribués. Aussitôt la reddition faite, l’individualisme enraciné chez elles a repris ses droits. Chaque famille, se groupant autour de son chef, ne reconnaît plus d’autre autorité et ignore ceux des anciens alliés qui n’appartiennent pas à la même tribu. »

Gens de plaine et de montagne

Les Aït Atta ont toujours cultivé cette indépendance et ce goût de la liberté. Pas facile pour un nomade de se plier aux règlements d’un pouvoir central éloigné qui n’a probablement qu’une vague idée de ses conditions de vie. Et la géographie du djbel Sarhro n’arrange rien qui rend les communications presque impossibles. Aucune route ne traverse en effet le massif. Tout juste si quelques méchantes pistes de terre permettent aujourd’hui de rallier, en véhicule tout terrain ou à dos de mule, quelques rares villages d’une centaine d’habitants comme Hanedour ou Imi n’Ouarg. Au-delà, passés les cols, sur les hauts plateaux, face aux reliefs tabulaires et aux tours de grés rose, voici le territoire de l’écureuil de rocher, de la perdrix, du chacal, du loup et du mouflon. Voici le territoire du laurier rose, du palmier nain, du saule pourpre, du figuier, de l’amandier et de l’alfa, cette herbe touffue et épineuse qu’affectionnent tant les mules. Voici le territoire de la chèvre et du mouton, guidés, de pâturages en oasis, par quelques familles nomades. Pas étonnant, dès lors, que ces tribus soient reines dans cette montagne.

Le capitaine Spillmann, toujours lui, notait déjà  : «  L’individualisme développé par la dure existence pastorale, qui trempe fortement les caractères, risquerait de dégénérer assez vite en anarchie. Mais d’autres facteurs, conditionnés par le nomadisme même, viennent heureusement tempérer cette tendance. La recherche et la défense des pâturages, les nécessités de la transhumance créent en effet des liens collectifs qui consolident le lien ethnique. Pour subsister au milieu d’ennemis toujours aux aguets, pour utiliser au mieux les ressources que dispense parcimonieusement une nature trop souvent ingrate, les nomades ont accepté librement une discipline réelle qui les groupe dans le cadre de la fraction ou de la tribu. (….) La structure de leur pays les fait à la fois gens de plaine et de montagne, nomades et qsouriens. Ils connaissent les rigueurs du climat saharien et celles des hautes altitudes. »

Petits lutins en burnous à la capuche pointue

Maroc Pascal Kober 09

Village d’Imi n’Ouarg au sud de Boumalne

Aujourd’hui encore, pour le voyageur qui traverse le djbel Sarhro à pied, le contact est difficile. À plus de deux mille mètres d’altitude, un minuscule verger, quelques maigres cultures d’orge et de légumes, et de fragiles murets qui servent à acheminer l’eau par de tous petits canaux, annoncent la proximité d’un village. Au détour d’un sentier, apparaissent de petits lutins en burnous à la capuche pointue, l’air de surveiller la rocaille. À peine ont-ils aperçu l’étranger qu’ils filent comme le vent pour réapparaître, à l’identique, à un autre détour de sentier. Pas un mot échangé. Juste un jeu. Et quelques rires étouffés. Avec leurs parents, c’est le barrage de la langue. Les Aït Atta parlent un dialecte berbère et même un guide local arabophone aura du mal à établir la communication. Et puis, les visiteurs sont rares sur ces hautes terres. Depuis une quinzaine d’années, quelques groupes de randonneurs occidentaux arpentent bien le massif entre novembre et mars avant que les grandes chaleurs ne viennent écraser la montagne. Mais de ce tourisme, nécessairement de passage, les Aït Atta ne profitent guère ou n’en voient que le versant le plus détestable lorsqu’une horde d’Occidentaux déboulent dans leur pré pas carré armés de leurs appareils photos. Même si, avec beaucoup de tact, on peut se voir proposer le thé à le menthe sous la tente brune en poils de chèvres…

Alors, sur les hauteurs de Hanedour près de Nkoub, on a bien installé une école dans un bâtiment ocre en préfabriqué, pour ouvrir les populations les plus sédentarisées sur le monde. Mais cette planète-là est encore loin des préoccupations de ces gens de l’alpe d’ailleurs. L’industrialisation, les guerres, le développement économique, le tourisme même, n’ont guère modifié les modes de vie ancestraux des nomades. Dans le djbel Sarhro, on continue à élever quelques chèvres et quelques moutons, à changer de pâturage tous les quinze jours ou tous les mois, selon la richesse de la végétation et à quitter, le printemps venu, ces terres arides pour la grande transhumance. Car cette montagne sèche qui connaît parfois d’importantes chutes de neige se transforme, en été, en un enfer de caillasses chauffées à blanc sans la moindre goutte d’eau.

« Châh… », « Ousta  ! », accompagnés de leurs mules, regroupés en familles, les Aït Atta rejoignent alors la vallée, près de mille mètres en contrebas, pour traverser l’oued Dadès et remonter sur les premiers contreforts du Haut-Atlas central près du lac d’Izourar. Mais ça, c’est une autre histoire…

Pascal Kober

Une ouverture sur le monde

Depuis plusieurs années, l’association Grande traversée des Alpes mène des actions de développement rural en relation avec les autorités marocaines. Plusieurs centaines d’habitants de l’Atlas (et, depuis peu, du djbel Sarhro) ont ainsi été formés aux métiers de la montagne (guides, accompagnateurs, muletiers, aubergistes, mais aussi artisans, grâce à la renaissance de productions en déclin), en complément à leurs activités traditionnelles. L’enjeu est de favoriser la pratique d’un tourisme de randonnée et de découverte pour un large public, de mettre en valeur, voire de protéger les richesses naturelles et humaines de ces territoires situés à l’écart des grands flux touristiques et de contribuer à leur essor économique.

À lire
• Georges Spillmann, Les Aït Atta du Sahara et la pacification du Haut Dra, publications de l’Institut des hautes études marocaines, tome XXIX, éditions Félix Mocho, Rabat, 1936.
• Le descriptif d’un circuit dans le djbel Sarhro, avec une carte détaillée et de nombreuses informations pratiques, sur le site Internet de Pierre Martin.

Autant que faire se peut, les toponymes ont été ici retranscrits dans la graphie employée sur les cartes au 1/100 000 éditées à Rabat par le ministère de l’Agriculture du royaume du Maroc.

Ce reportage, réalisé du 24 février au 2 mars 1992, a été publié dans le numéro 14, daté hiver 2002, de la revue L’Alpe.

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Planète : Jazz(s), mes amours, mes voyages

De Miles à Toots, de Betty Carter à Aziza Mustafa Zadeh, des steppes russes aux cieux caraïbes, de tournées en festivals, trente ans déjà que je parcours les territoires du jazz. Vingt ans déjà que Jazz Hot, plus ancienne revue de jazz du monde (créée en 1935 !) publie mes breakfast interviews, mes chroniques de disques, mes grands reportages et mes photos de musiciens. Sélection partielle et partiale…

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Produite par Thierry Serrano pour le service culturel de la mairie de Vaulx-en-Velin, cette exposition itinérante a été présentée à plusieurs reprises dans de nombreuses institutions : Rencontres photographiques du centre culturel Simone-Signoret de Château-Arnoux (Alpes-de-Haute-Provence), Espace d’art contemporain pour le festival À Vaulx Jazz (Rhône), Médiathèque pour le festival Crest Jazz Vocal (Drôme), Médiathèque de Nouzonville (Ardennes), Palais du Parlement pour le Grenoble Jazz Festival (Isère), etc.

Si vous souhaitez présenter ce travail dans votre équipement culturel ou votre galerie, et obtenir les conditions de représentation de l’exposition, merci d’envoyer un message en cliquant sur le menu «  Contact » en haut de page.K

Attention : exposition à l’épreuve !

Texte, photo, journalisme, musique… et toutes ces sortes de choses qui se jouent du temps et gardent trace de la vie. Je les voudrais amateurs. Du latin « qui aime » : le texte sur un carnet de voyage ; la photo « de famille » ; et le journalisme comme une écoute candide des murmures de la planète. La musique, enfin, en respiration et en parfait dilettante. Le photographe ne connait pas ce formidable retour du public juste après l’énoncé final d’un thème. Plaisir du musicien en direct. Or, au fond, au-delà des diverses formes d’expression, il s’agit bien d’abord de plaisirs.

Une expo de mes photos ? ’z’en ont de bonnes ! Jamais fait d’expo, moi. Déjà que j’ai du mal à définir mon activité… Versant professionnel : carte de presse numéro 49142. Photographe ou journaliste ? Euh… Ça s’expose, du texte ? Versant cartable : les Beaux-arts. Plasticien, donc ? Mouais… J’avais alors inventé un personnage qui m’allait bien : le renifleur du temps. Un moment oubliée, l’expression balise à nouveau ma carte de visite. J’ai toujours préféré les sentiers de traverse aux autoroutes de l’information.

Quant à retrouver mes petits parmi plusieurs dizaines de milliers d’images… Ah, la vie de grand reporter… Au fil du temps, archives à gérer, originaux perdus, négatifs rayés, photos oubliées, supports inadaptés, j’en passe et des meilleures. L’Agfachrome développé il y a près de trente ans dans un coin de ma cuisine parisienne côtoie l’Ekta de dernière génération traité Quality Lab, mais voisine également avec un vague film noir et blanc griffé ex-soviétique troqué au hasard d’une ruelle de Saint-Petersbourg pour répondre à un besoin urgent ou un fichier numérique empli de pixels. Sans parler du contenu de ces documents : depuis l’immense Dizzy jusqu’au petit copain, un bel éventail des musiciens de la planète jazz et aussi des mille et une pratiques de la prise de vues. Et eux, ils me demandent une expo !

Après ça, étonnez-vous du choix de la forme. Iconoclaste et peut-être bien inédite. Cadres et cimaises, certes, mais à l’intérieur, adieu marie-louise et belle photographie tirée sur papier baryté. Bonjour l’épreuve de photogravure réalisée à partir d’un fichier de mise en page. Les photographes, les vrais, vont hurler, eux qui vivent encore trop souvent sous la dictature du dieu piqué. Comment ? Une expo de photos scannées, tramées, numérisées… Quant à moi, j’aime, dans sa matière brute, ce drôle de papier satiné qui préfigure l’odeur de l’encre fraiche et qui marie avec tant de bonheur la couleur et la monochromie, les photos de famille prises au compact et les portraits réalisés en studio, les croquis et les grains d’argent. Bref, mes images et mes mots, ici fidèlement reproduits.

Pascal Kober

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Aziza Mustafa Zadeh : Seventh truth

Septième vérité mais quatrième album déjà chez Columbia, pour cette pianiste et chanteuse que certains semblent découvrir aujourd’hui. C’est loin, l’Azerbaïdjan… En 1991, son premier opus fut solo (Aziza Mustafa Zadeh, 468286 2). Mais la belle ne resta pas longtemps seule. Vite repérée par les plus grands, elle enregistra son deuxième disque (Always, 473885 2) en 1993 avec John Patitucci et Dave Weckl, puis le suivant (Dance of Fire, 480352 2), en 1995, avec Stanley Clarke, Al di Meola, Bill Evans et Omar Hakim. Pour Seven Truth, elle revient à une formule plus minimaliste avec un percussionniste sur quelques thèmes. En quatre compacts, tous remarquables, se dessine ainsi un panorama du talent de cette jeune prodige. Depuis une certaine timidité dans un album presque intimiste, jusqu’à l’assurance parfois flamboyante des disques plus récents qui n’oublient pas le marketing. Aziza est mignonne. Très mignonne. Ses producteurs le savent et lui demandent de poser de façon très apprêtée sur des pochettes prétextes à exercices de style pour photographes de mode. Gommant du même coup cette délicieuse fraîcheur que l’on retient en concert. Musicalement, Aziza Mustafa Zadeh reprend pourtant les rênes et de magistrale manière. Comme si ses précédentes expériences en groupe lui avaient appris à mieux mesurer ses propres forces. On sent là le poids d’un enseignement (soviétique) fait de rigueur, de travail et de passion. Le legs d’un père trop tôt disparu  : Vagif, compositeur prolixe et très connu en ex-URSS. Sa curiosité, enfin, pour le jazz  : swing omniprésent dans les pièces rythmiques, même sur une métrique complexe (Wild beauty). Seule, avec sa voix et son piano, Aziza occupe l’espace comme jamais. Qualités d’écriture, toucher très expressionniste, phrasé souvent lyrique, marqué par les mélodies et les rythmes de son pays, et cette incroyable technique vocale. Sa langue maternelle se prête au métissage mais elle chante également en anglais. Fly with me est une agréable invitation teintée d’un délicat accent azéri, avec ces «  r  » instinctivement roulés  : «  I’m not afraid of your rain  »

Pascal Kober

Musiciens  : Aziza Mustafa Zadeh (p, voc, perc) et Ramesh Shotam (dm, perc).
Thèmes  : Ay dilber, Lachin, Interlude I, Fly with me, F#, Desperation, Daha… (again), I am so sad, Interlude II, Wild beauty, Seventh truth, Sea monster.
Enregistré  : en janvier et février 1996 à Ludwigsburg (Allemagne).
Durée  : 56’58  ».
Référence  : Columbia 484238 2.
Site Internet : cliquer ici.

Chronique publiée dans la revue Jazz Hot.

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Turquie : International Istanbul jazz festival

Ilhan Ersahin sort délicatement son ténor de l’étui. Déjà son batteur est derrière les fûts, remplaçant Karriem Riggins au pied levé. Roy Hargrove vient de terminer son set. À peine le temps de commander un raki. Le trompettiste américain se retourne. Son bassiste a laissé sa place à Matthew Garrison, fils de Jimmy, aujourd’hui membre du Zawinul Syndicate. Ron Blake est toujours en scène, rejoint par un autre saxophoniste turc, Yahia Dai, membre du groupe Asia Minor. Dans la salle, Jacky Terrasson discute avec Joshua Redman. Iront ? Iront pas ? D’un saut, Roy remonte sur la scène du Roxy. C’est parti pour un autre bœuf. Jusqu’au bout de la nuit…

S’il ne fallait qu’une image pour résumer Istanbul, ce serait celle-ci. Métissages, rencontres et longues accolades entre des musiciens qui ont plaisir à se retrouver. Le lendemain, le même club accueillait Marcus Miller himself, artiste « surprotégé  » par son tour manager et donc insaisissable pour le journaliste, mais pourtant disponible lorsque le contexte suscite la jam session, et proche de son public dès qu’il quitte son rôle de représentation. Un vrai bonheur pour les amateurs de jazz de la capitale turque qui ont ainsi pu faire le bœuf avec les plus grands.

C’est d’ailleurs là l’un des principaux attraits de cette manifestation : l’ouverture des jazzman locaux et, au-delà, du public d’Istanbul, à tous les modes d’expression du jazz. Cette année, pour la troisième édition, le menu était particulièrement copieux, allant jusqu’à flirter avec des musiques périphériques comme le rock de Dead Can Dance, les mélodies celtiques de Loreena McKennit (au demeurant accompagnée par Glen Moore, le contrebassiste d’Oregon), ou encore la pop syncopée de Kevyn Lettau, chanteuse du groupe Unity. Mais ces soirées-là ont fait le plein et on alla même jusqu’à vendre des places (numérotées !) sur les escaliers et les petits murets du grand théâtre en plein-air, superbement adossé aux flancs du Bosphore.

Le charme du festival d’Istanbul va bien au-delà du seul exotisme. Évidemment, il y a l’Orient et sa magie, les rues qui grouillent de monde, les odeurs entêtantes de bois, de mer et d’épices, l’accueil chaleureux des Turcs. Mais il y a, aussi et surtout, la découverte d’autres univers musicaux. Les étranges harmonies et le jeu sur les quarts de ton d’Asia Minor, une formation menée par le bassiste Kamil Erdem, la voix de Yildiz Ibrahimova, toujours en équilibre instable entre l’Est et l’Ouest, et les approches plus mainstream du pianiste Kerem Görsev ou des guitaristes Önder Focan et Neset Ruacan.

Il y a enfin un festival jouant la carte d’une affiche intelligente qui n’a rien à envier à personne : Jacky Terrasson en ouverture d’Herbie Hancock, ce dernier rendant un hommage public, appuyé (et justifié) au premier, ou encore des musiciens peu vus en France cet été comme Toshiko Akiyoshi, Larry Coryell et Diane Reeves. Bien sûr, comme ailleurs, il y eut des déceptions. Roy Hargrove ou Marcus Miller ne se sont guère renouvelés depuis trois ans, le trio de guitares (Paco de Lucia, Al di Meola et John McLauglin) fait la foire à la grimace et le répertoire de new standards de Herbie Hancock ne tient pas la route. Mais comme ailleurs, il y eut aussi d’immenses moments de bonheur. Joe Zawinul fêtant ici son soixante-quatrième anniversaire avec un percussionniste turc ovationné par son public, Larry Coryell dialoguant avec Trilok Gurtu sous un ciel étoilé, Chick Corea et ses amis, magnifiques dans leur répertoire Bud Powell, Sergio Mendes enfin, clôturant son concert sur des airs de danse souvent séducteurs mais jamais racoleurs.

Istanbul est membre de l’European Jazz Festival Organisation qui regroupe d’autres événements d’envergure comme La Haye, Molde, Montreux, Pori ou Vienne. Mais Görgün Taner, son directeur, a su imprimer une authentique personnalité à cette manifestation qui s’intègre dans une programmation (cinéma, musique classique et théâtre) très ambitieuse et quasi-ininterrompue, entre mars et juillet, de l’Istanbul foundation for culture and arts. Un subtil mélange de professionnalisme et de convivialité, de rigueur et de souplesse dans l’organisation, de valeurs sûres et de surprises, de sensibilités européennes et asiatiques. Comme la nécessaire touche orientale d’un festival de l’entre deux mondes…

Pascal Kober

International Istanbul jazz festival, du 3 au 15 juillet 1996. Chronique publiée dans le numéro 534, daté octobre 1996, de la revue Jazz Hot.

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Steve Swallow : Jazz attitude

Steve Swallow ressemble à sa musique. Élégant, raffiné, le bassiste parle très lentement, choisit ses mots avec beaucoup de soin et n’hésite pas à prendre le temps de la réflexion avant de répondre. Un discours aussi limpide que ses solos. La jazz attitude, pour Steve Swallow, c’est une manière de vivre en versant une partie de son patrimoine d’auteur dans le domaine public. Démarche peu courante dans un univers musical généralement plus attaché aux aspects business du métier. Son disque Real book (Xtrawatt/7 521 637-2) joue ainsi le clin d’œil. Car pour tous ceux qui jouent du jazz, le Real book, l’autre, est un monument de l’histoire de cette culture. Breakfast interview au festival de jazz de Vienne…

Steve Swallow, festival Jazz a Vienne 1994, photo Pascal Kober

Steve Swallow, festival Jazz a Vienne 1994, photo Pascal Kober

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De Philippe Deschepper au Transatlantik quartet d’Henri Texier, en passant par l’Orchestre national de jazz (ONJ) ou encore Michel Portal, vous êtes l’un des rares musiciens américains à avoir souvent joué avec des Français. Que retenez-vous de ces expériences ?

Difficile de répondre de manière globale… Les différences entre Texier et Portal sont tellement (il écarte les bras et rit aux éclats)… Même s’ils ont souvent travaillé ensemble, ils ne se ressemblent en aucune façon. Quant à mon expérience avec l’ONJ, elle se situe encore sur un autre registre. Au fond, je suis intimement persuadé que la musique de jazz est devenue internationale. Il n’existe aucune frontière entre les nations dans la communauté du jazz. Uniquement de bons et de moins bons musiciens. Et ce, partout et quel que soit le pays. Cela dit, je crois qu’il est toujours possible de parler avec un dialecte original. Henri Texier, en un sens, trouve son identité en tant que Breton et cela se reflète dans ses compositions. Mais il ne s’agit que d’un détail qui rajoute une petite saveur particulière à son jeu car fondamentalement, lui et moi faisons exactement la même chose. Nous sommes des bassistes de jazz. Le fait qu’il joue de la contrebasse et moi de la basse électrique n’a absolument aucune importance. Qu’il soit Français et moi Américain, non plus.

Ma prochaine question n’a donc plus de sens ! Je voulais vous demander si vous aviez observé une façon spécifiquement européenne de jouer du jazz…

Non, je ne crois pas. Mais encore une fois, il est possible de parler avec un accent. Cela ne signifie pas qu’une personne avec un accent danois sera moins éloquente qu’une autre avec un accent français. Il existe une énorme différence entre Proust et Céline. Pourtant, quelle force extrême et quelle habileté chez chacun de ces écrivains… Dans le même esprit, il serait difficile de confondre Johnny Griffin et Michel Portal. C’est une bonne chose que la musique de jazz recèle une telle diversité. Ça lui permet de rester en bonne santé. En fait, plus votre définition du jazz est particulière, plus vous risquez de tuer cette musique en la réduisant à une façon de jouer ou à une manière d’écouter.

Vos albums en tant que leader ne sont jamais des disques de bassiste…

… Non, pas du tout (rires).

Vous n’y prenez que de rares solos, la basse est souvent en arrière…

… La basse est là où elle doit se situer : au fond des choses… C’est évidemment délibéré de ma part. Lorsque j’avais treize ans, je jouais de la trompette et je venais juste de découvrir la musique de jazz. Nous commencions à travailler avec cinq ou six amis, après les répétitions du marching band. À l’époque, nous avions un Fake book (NDLR recueil de partitions piratées) et nous choisissions des thèmes de Lester (NDLR Young) et des riffs de Stan Kenton. Mais personne ne jouait de la basse. Pas même du tuba… Au bout d’un certain temps, nous avons réalisé qu’il nous manquait quelque chose d’important et nous avons décidé de prendre chacun la basse sur un thème (rires). C’est la première fois que j’ai essayé cet instrument : juste parce que c’était absolument nécessaire pour le groupe (rires). Et je suis immédiatement tombé amoureux. C’était en 1953.

La basse était-elle alors considérée comme un instrument mineur ?

Pas très intéressante pour un musicien de cet âge-là… À treize ans, vous avez envie de vous placer devant le groupe et de jouer très fort, très vite et très aigu. Or, la basse est lente, peu puissante et œuvre dans le registre grave… Mais je suis vraiment tombé amoureux. Au point que j’ai arrêté la trompette. Quand j’ai annoncé aux autres qu’à partir de maintenant, je serai bassiste, ils étaient très contents (rires). J’ai réalisé, bien plus tard, que ce n’était pas tellement le son ou l’instrument lui-même qui m’avaient séduit, mais plutôt le rôle social de la basse, le service qu’elle rend au sein du groupe. Cet aspect m’a immédiatement attiré. Il y avait là quelque chose qui me paraissait juste, qui était plus gratifiant que de simplement jouer et improviser. Et aujourd’hui encore, je retrouve souvent ce sentiment, ce merveilleux sentiment, qui fait que lorsque le saxophoniste prend un solo magnifique, le bassiste sourit secrètement car il sait que, dans un sens, c’est aussi un peu son solo (rires).

Vous avez beaucoup travaillé sur le son de l’instrument…

Immédiatement après avoir joué de la basse électrique, mes doigts ont refusé de revenir à la contrebasse. Et il y a eu un combat terrible entre mes doigts et ma tête.

Pour des questions physiques ?

Oui, purement physiques. Mes doigts ont immédiatement adoré jouer de la basse électrique, le contact de la touche, etc. C’était si irrésistible que ma main a simplement refusé de revenir à la contrebasse. Mais mon cerveau était embrouillé et fâché car il avait l’impression de perdre beaucoup de choses. Et en particulier, j’avais très peur d’oublier le son de la contrebasse. Je n’aimais vraiment pas du tout le son de la basse électrique. Depuis 1970, je me suis donc intéressé aux technologies qui pourraient améliorer le son de la basse électrique avec l’intention de retrouver la richesse, la complexité, la profondeur, le côté obscur et le mystère du son de la contrebasse. Je dépense énormément d’argent et je passe du temps avec des gens concernés par le son et les techniques d’enregistrement en studio. Certaines machines utilisées en mixage m’ont fait franchir un nouveau pas dans ce que je désire : compression, changements de phases, modules de réverbération plus performants, etc. Toutes ces choses peuvent paraître inhumaines et scientifiques si on les compare à l’art de produire un son sur un violon, mais c’est le champ de recherche nécessaire pour essayer de trouver un son complexe sur un instrument électrique. D’ailleurs, de manière étonnante, le son le plus abouti que l’on puisse entendre sur un violon est généré par un objet fabriqué au XVIIe siècle. Alors que le meilleur son électronique est probablement obtenu avec un instrument créé hier…

Par rapport à votre premier album, Home (ECM 1160 513 424-2), qui, sur le plan de l’écriture, était très proche des conceptions de la musique européenne, votre dernier disque semble marquer un retour à un jazz plus classique ?

(Longue réflexion.) Je ne suis pas sûr que j’utiliserais exactement cette métaphore de l’Europe et des USA, car il existe, chez vous aussi, beaucoup de musiques que l’on pourrait qualifier de sauvages, de féroces et d’improvisées. Mais dans le fond, oui, vous avez raison. En un sens, Home était un album un peu académique. Les textes de Robert Creeley lui apportaient d’ailleurs une dimension très littéraire. Il y avait une sorte de saveur de tradition dans ce disque, alors que sur Real book, je sens davantage le parfum de la relation à autrui.

Home était-il une forme de conclusion à vos études musicales ?

Oui… Et en fait, non (rires)… Mes études me poursuivent aujourd’hui encore (rires). Ce disque était le produit d’un système. Il a grandi dans le terreau de mes centres d’intérêts en tant qu’étudiant. C’était comme l’un de mes derniers travaux d’étudiant.

Jusque dans ses aspects poétiques ?

Oui, absolument. À cette époque, je ne me considérais d’ailleurs pas comme étudiant en musique, mais comme musicien. Pourtant, encore une fois, je voudrais immédiatement rajouter que j’apprends probablement beaucoup plus aujourd’hui. Et ma relation à l’écrit est aussi forte. Depuis que j’ai enregistré cet album, j’ai toujours eu une attitude très humble face à la littérature. Je ne la comprends pas, je ne sais pas comment elle s’organise… Bref, c’est un étonnant mystère pour moi… Avec Real book, au contraire, j’ai eu l’impression d’évoluer sur un terrain que je connais parfaitement pour l’avoir exploré aussi souvent que possible durant ces trente ou quarante dernières années.

Vous semblez toujours prendre votre temps entre deux albums…

Oui, pour plusieurs raisons. D’abord, je suis un compositeur très lent. Ensuite, j’avais besoin d’être clair par rapport à ce que je voulais enregistrer. Mon avant-dernier disque (Swallow) était très soigneusement composé et orchestré de manière très forte. Au point que j’avais écrit la partie de chaque musicien, même celle de la batterie. À la fin de cette expérience, j’ai su que je ne le referai plus (rires)…

… Trop difficile ?

Trop de travail… En outre, je voulais monter un projet dans lequel je pourrais avoir davantage confiance en mes amis. J’ai donc pensé qu’il était temps de poser un regard très clair sur certains musiciens : avant même de commencer, savoir pour qui j’avais envie de composer et écrire aussi peu que possible pour leur permettre de s’exprimer plus librement. Exactement l’opposé de cet avant-dernier disque. Ça m’a réellement pris une année ou deux pour comprendre cela et être clair à propos de mes amis (rires). Car souvent, à force de les côtoyer, vous oubliez leurs vraies richesses. J’étais également à la recherche d’une atmosphère très spécifique. D’ailleurs, je savais que je voulais appeler ce disque Real book

C’était ma prochaine question…

Je m’en doutais (rires). Je voulais retrouver ce genre de feeling que j’ai quand je rencontre des amis en privé, sans aucun but et en dehors du regard du public. On s’assoit avec le Real book, le vrai, et on dit :
«  OK, qu’est-ce que tu veux jouer ?
Je ne sais pas… Et toi ?
Que dirais-tu de la page 128 ? »
Là, il y en a toujours un qui regarde et qui dit :
« Non, je n’aime pas le thème de la page 128. Si on prenait la 132 ?
– OK, va pour la 132 (rires)… »

Vous choisissez la page plutôt que le thème ?

Oui (rires). On ne parle jamais du thème. Le thème n’est qu’un numéro (rires)… Tout le monde sait que la page 39 du Real book, c’est « Autumn Leaves ». Je crois que le Real book est une pièce importante de l’histoire dont on ne parle pas assez. Un livre qui est juste ouvert là, devant chaque musicien de jazz, depuis le milieu des années 1970 et qui fait partie du paysage comme cet arbre à gauche sur le chemin de votre maison. Nous avons tous tellement utilisé le Real book… Quelques uns des moments musicaux les plus riches sont si souvent nés de ce type de situations où vous jouez pour vous, en privé, relax, juste pour le plaisir d’explorer de jolies chansons, sans motif particulier, sans aucune ambition… À la fin d’une longue journée d’exercices, il est bon d’avoir des relations musicales très fortes avec les gens que vous aimez… Le Real book a eu un impact important sur le niveau de la musique de jazz. Auparavant, tous les recueils de partitions étaient très mauvais, imprécis, difficiles à lire… C’était très frustrant de tenter de jouer ensemble à partir de ces livres. Lorsque le Real book est arrivé, il y avait bien encore de petites erreurs, mais la qualité d’impression était très claire, les thèmes choisis tournaient bien, étaient plaisants à jouer et très utiles pour improviser. Et c’est exactement ce que je voulais retrouver pour ce disque.

Jusqu’au choix de la formule orchestrale qui reste très classique…

L’instrumentation trompette, saxophone ténor et section rythmique me rappelle mon passé et les sentiments que j’avais lorsque je découvrais la musique à la fin des années 1950. À cette époque, des groupes comme le quintet d’Horace Silver étaient vraiment très importants pour moi. Il y a également quelque chose dans les sons mêlés de la trompette et du saxophone ténor qui, aujourd’hui encore, m’évoque la poésie du jazz et la force de cette musique qui fait que les gamins oublient tout le reste, oublient les filles, le sport et les voitures… Juste pour l’amitié et le plaisir de jouer… Ça ressemble à l’appel des sirènes… Vous ne pouvez pas résister à ça.

Cette histoire d’amitié explique-t-elle aussi la trace du verre sur la pochette ?

Oui, exactement (rires). C’est un Real book qui a bien servi (rires)… Vraiment (rires)… D’ailleurs, si nous avons réussi à retrouver ce feeling d’une réunion amicale autour d’un verre, c’est aussi parce que ce disque n’a pas été réalisé dans un studio new yorkais sûrement très efficace mais aussi très cher. Nous l’avons enregistré dans le sous-sol de ma maison, l’ingénieur du son est l’un de mes meilleurs amis dans la ville où je vis, et il n’y avait personne… Personne dans la cabine pour regarder sa montre toutes les demi-heures (rires). Nous n’avions donc pas l’angoisse de devoir terminer avant telle échéance, faute de quoi un sacré paquet d’argent aurait filé entre les doigts de quelqu’un. Nous pouvions nous arrêter, nous raconter des blagues et je n’avais même pas de chaussures à enfiler (rires)… J’ai juste mis mes pantoufles (rires)…

Et vous jouiez au lit ?

(Rires). Oh, j’aurais pu (rires)… Il ne m’aurait fallu qu’un long cordon pour relier ma basse à la console de mixage…

Cet album quelque peu atypique reste pourtant distribué par ECM…

C’est étrange, en effet. Mais en fait, il s’agit davantage d’un disque Xtrawatt. Le contrat que nous avons avec ECM leur impose de publier tout ce que nous leur donnons.

Quoi que ce soit ?

Oui. Ils n’avaient pas le choix…

Bon contrat…

Merveilleux (rires)… Bon, sincèrement, je crois que si nous les testions vers des extrêmes, nous aurions peut-être des problèmes… Je m’aperçois maintenant que ce n’est probablement pas le genre de musique que Manfred Eicher aurait choisi… Pas du tout le genre… Mais c’est pour son bien (rires)… Nous l’avons fait pour l’aider (rires)…

Pourquoi avoir publié les partitions sur le livret du disque ?

Le Real book, est plus qu’un simple livre. J’ai mon propre exemplaire depuis sa première parution en 1974 et je l’ai emporté tout autour du monde, chez mes amis, lors de répétitions, dans des stations de ski, dans de célèbres salles de concert en Europe, etc. Ce livre a été partout. Il est donc devenu une sorte d’icône magique pour moi. En montrant mes partitions, j’ai pensé qu’une petite partie de cette magie serait communiquée, même aux gens qui ne lisent pas les notes. J’espère aussi que les jeunes musiciens n’hésiteront pas à jouer ces thèmes, qu’ils les photocopieront, qu’ils se les distribueront. Enfin, je voulais affirmer une position politique : la plupart des gens se bloquent dès lors qu’il s’agit de distribuer des copies de leurs partitions car ils ont peur de perdre leurs droits d’auteur. Mon sentiment, c’est que le jazz doit être disponible gratuitement et aussi largement que possible. J’ai eu quelques thèmes publiés dans le Real book original et je me suis aperçu alors que c’était non seulement bon pour la communauté des improvisateurs, mais également bon pour moi en tant que compositeur. La meilleure chose qui puisse arriver à quelqu’un qui écrit, c’est qu’un musicien qu’il n’a même jamais rencontré prenne son thème, à Tokyo ou à Moscou, le joue, l’aime et le fasse apprécier par d’autres. Ça, c’est un merveilleux cadeau… Lorsque je suis en tournée, des jeunes viennent parfois me voir dans les endroits les plus invraisemblables et me disent : « J’adore ce thème ». Pour moi, c’est une belle récompense qui va bien au-delà de toutes ces petites questions de gestion de droits d’auteur et de paiement de royalties.

Propos recueillis et traduits par Pascal Kober

Repères biographiques

Depuis quelques années, le nom de Steve Swallow est souvent associé à celui de sa compagne Carla Bley avec laquelle il tourne en duo, en trio ou en grande formation. Ce qui ne l’empêche pas de poursuivre parallèlement une carrière de leader (avec des musiciens comme Joe Lovano) ou de sideman, aux côtés d’Henri Texier ou de Rabih Abou-Khahil. Né en 1940 à New-York, le contrebassiste s’est fait connaître au tout début des années 1960, au sein du trio de Jimmy Giuffre, avec Paul Bley (formation reconduite en 1989). On le découvrira ensuite avec Stan Getz et Gary Burton avant qu’il ne rejoigne le big band de Carla Bley à la fin des années 1970. Steve Swallow est l’un des rares contrebassiste de jazz à avoir définitivement abandonné la « grand-mère » au profit de la basse électrique. Un instrument réalisé sur-mesure et sur lequel il a développé une sonorité et un jeu très particuliers, savamment entretenus par sa passion pour la lutherie électronique.

La saga du Real book

En intitulant l’un de ses album Real book, Steve Swallow rend hommage aux créateurs de l’autre Real book, ce recueil de partitions publié pour la première fois en 1974. Cet épais volume de plusieurs centaines de pages recense la plupart des standards du jazz, des plus anciens comme Mood indigo jusqu’aux plus récents comme Spain. Composé de feuillets manuscrits indiquant la ligne mélodique, les accords chiffrés et quelques références discographiques, le Real book a été décliné en de nombreuses variantes : versions en sib pour les saxophonistes, version réduite en petit format pour le voyage (illisible !), Vocal real book pour les chanteurs, etc. Cette véritable bible du répertoire jazz, indispensable à tous les musiciens et constamment réactualisée, est notamment disponible en France chez Amy Lipton, Jazzamy. Noter que Steve Swallow lui-même a publié, avec Jo Anger-Weller, une méthode d’improvisation en français, avec transcriptions de solos et commentaires (JAW Jazz Collection, éditions HL Music).

• Le site Internet de Steve Swallow, Carla Bley et Karen Mantler : cliquer ici.

Entretien paru dans le numéro 529, daté avril 1996 de Jazz Hot et complété, dans la revue, par une large sélection discographique des enregistrements de Steve Swallow en tant que leader ou sideman, établie par Guy Reynard et Yves Sportis.

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Turquie : Kusadasi jazz festivali

La scène se trouve non loin des fabuleuses ruines antiques d’Éphèse. Les jazzmen américains adoreraient ça. Bonnes raisons de prendre le large sur cette côte de la mer Égée, même si le béton triste gâche un peu le plaisir. Et enfin un autre alibi, fondamental : à l’instar de la Russie, le voyage en Turquie vaut d’abord pour la rencontre. Fùsun Levet le sait bien qui a créé son festivali sur la convivialité.

Chan Parker était ainsi venue en amie. Elle retrouvait là Peter King, formidable altiste britannique qui joue Bird et rentre dans les standards comme on croque la vie. À belles dents. Elle découvrait les musiciens turcs. Yildiz Ibrahimova dont la voix marie si bien le jazz et le folklore des Balkans. Tuna Ötenel, étonnant multi-instrumentiste, aussi à l’aise à la batterie qu’aux saxes ou au piano. Önder Focan et ses harmonies «  metheniennes » subtilement décalées. Ou encore la basse de Kürsat And, en cheville ouvrière de toutes les jam sessions.

Car le festival a ses after hours. La ville vit la nuit. À deux rues de distance, le Be Bop et le 3 Boga. Le premier, au calme, décline une cuisine inventive sur les goûts musicaux très sûrs de Kadri Balagzi. Le second, créé par Fùsun Levet et piloté par le guitariste Cem Baba, joue la carte des bœufs. Ici sont tous les musiciens. Ici, la chanteuse Manu Le Prince croise le fer avec les rythmes tropicaux d’Alfredo Rodriguez. Ici, Jean-Loup Longnon, facétieux comme à son habitude, imagine un scat enflammé sur Kusadaswing. Ici, Ahmet Gülbay, pianiste français d’origine turque, renoue un instant avec une partie de ses racines. Ici se rencontrent Tuluhan Tekelioglu, la journaliste d’Istanbul, sa mère, directrice d’une galerie à Ankara, le vendeur de tapis francophile et les amoureux du jazz de tous les pays. Ici se trouve le centre du monde de Kusadasi.

Et s’il reste encore beaucoup à entreprendre (davantage de communication, bénévoles plus nombreux, moyens financiers accrus et un vrai beau plateau à l’épreuve du vent qui reviendrait sur la charmante presqu’île de Güvercin Ada), l’essentiel est là : rien ne résiste à la passion. Dans quelques années, devenu grand, le jazz festivali de Kusadasi sera peut-être à Éphèse. Plus de vingt mille spectateurs investiront alors les gradins très bien conservés du théâtre grec. Et les huit mille Romains de notre Jazz à Vienne n’ont plus qu’à bien se tenir…

Pascal Kober

Jazz festivali, du 20 au 24 juin 1995. Chronique publiée dans le numéro 523, daté septembre 1995 de la revue Jazz Hot.

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Notenstock : Live in Vienne

Plus que jamais tropical et paradoxalement toujours aussi frais. Notenstock nous avait séduit avec ses compositions. Le groupe persiste et signe en compagnie d’un invité de marque : Abraham Laboriel lui-même, œuvrant à la basse acoustique, un instrument (trop) rare, et à la basse électrique. À Vienne, le quartet avait enflammé son public. Pendant les trois séances d’enregistrement, mais aussi lors de quelques mémorables after hours à bord d’une péniche amarrée sur les quais du Rhône. Vraisemblablement, le bassiste d’origine mexicaine n’était pas venu pour faire de la figuration. Abraham Laboriel aime la musique des deux guitaristes et cela s’entend. On le comprend. Il y a là des parfums d’Amérique latine et une irrésistible envie de danser, de faire la fête et de chanter. Les mélodies sont d’ailleurs le point fort de Notenstock. Si joliment ciselées, sans pourtant jamais tomber dans la vulgarité, qu’on se prend à les fredonner spontanément. Mais le disque traduit mal la magie du direct. Lui manque la chaleur moite, les boissons glacées et cette impression de corps à corps avec les musiciens. Lui reste l’énergie. Formidable. Brute. Moins léché que le précédent opus, même s’il faut souligner la qualité du mixage et du son, ce Live In Vienne représente le témoignage d’instants précieux tissés de sourires de connivence et de grands éclats de rire.

Pascal Kober

Musiciens : Michel Jules (g), Abraham Laboriel (b), Luiz Carlo de Paula (perc) et Stéphane Sarlin (g).
Thèmes : Bleu ciel, Samba païxao, Tatiana, Sao Paulo blues, Again and soon, Hello L.A., Para Luiz, Tropiques.
Enregistré : en juillet 1993 à Vienne.
Durée : 68’31  ».
Référence : Lazer Production 590 952.

Chronique publiée dans la revue Jazz Hot.

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Éthique et informatique

Mise à jour de janvier 2023 : ce mien article, paru dans Photographies Magazine il y a près de… 30 ans (!) n’a pas pris une ride à l’heure des débats sur les dangereuses dérives potentielles des intelligences que l’on dit «  artificielles » pour la production d’images. Bonne lecture…

Le numérique a-t-il une âme ? Pour travestir la « réalité photographique », rien de tel qu’un ordinateur. L’outil est peu onéreux et travaille vite. Une évolution qui ne va pas sans poser de problèmes de conscience aux photographes, aux journalistes, aux éditeurs et… à leur public.

Deux ou trois manipulations numériques ont récemment mis en émoi le petit monde de l’image. Et singulièrement celui de la photo de presse. Une presse qui n’en demandait pas tant, après les « affaires » de Timisoara et de la guerre du golfe, même si le débat se déplace aujourd’hui sur un terrain de réflexion encore en friche, celui de l’informatique. Pourtant, la question est toujours identique, ancestrale, brutale : la photo doit-elle être considérée comme une représentation objective de la réalité ? De Libération à Télérama, en passant par le Monde et certains mensuels spécialisés, ils ont tous réagi. Au double visage d’O. J. Simpson, aux faux barbus de la Marche du siècle ou encore aux photomontages du Point.

Photographies Magazine, numéro 64, janvier-février 1995, Pascal Kober

Photographies Magazine, numéro 64, janvier-février 1995, Pascal Kober

En bref, les faits. À destination de ceux qui auraient largué les amarres pendant plusieurs mois. En juin 1994, O. J. Simpson, accusé du meurtre de son ex-femme et de l’amant de cette dernière, est arrêté après une course-poursuite qui se déroule sous le regard des caméras de toutes les télévisions américaines. Le 27, Time et Newsweek publient chacun à la une la même photo anthropométrique du footballeur noir. Pas de chance, la coïncidence met à jour une imposture : le premier a cru bon de trafiquer l’image pour rendre O. J. Simpson plus noir qu’il ne l’était sur l’original. Une manipulation indécelable.

Et le lecteur de s’interroger. Si les deux magazines n’avaient pas utilisé la même photo en même temps, personne n’aurait rien vu. Alors, combien d’autres images retouchées dans Time sans que l’on n’en sache rien ? Et combien dans les autres journaux ? Avec quelles motivations ? Quel est le degré de contrôle d’un rédacteur en chef sur l’authenticité d’un document arrivant sur son bureau ? Quelle est la responsabilité des médias dans la diffusion de cette « réalité » revue et corrigée ? Et celle des lecteurs ?

La bande des quatre et le corbeau

Rien de neuf sous le soleil, rétorqueront ceux qui savent à quel point l’image photographique peut facilement être détournée. Lorsque l’ordinateur n’existait pas, les falsificateurs usaient de la colle et des ciseaux. On éliminait la bande des quatre sur la photo officielle des obsèques de Mao. Et le couple Arafat-Shamir se serrait la main dans un montage publié par Life bien avant que les pourparlers de paix au Moyen-Orient soient engagés.

Voilà pour la paille dans l’œil des médias. Quant à la poutre dans celui des photographes… Pour un Cartier-Bresson, intraitable sur le cadrage de ses images ou un Paul Almasy, intégriste de la « photo-vérité » au point de refuser jusqu’à l’usage du flash, combien d’autres, moins sourcilleux sur la mise en scène, l’éclairage ou la retouche dans le huis-clos de la chambre noire ? Récemment encore, dans le cadre de son « reportage » pour Paris Match sur le procès Vuillemin, Helmut Newton montrait un corbeau, venu fort opportunément se poser devant la fenêtre de son hôtel. En observant l’image de près, le socle de… l’animal empaillé était encore apparent !

Vous accordez des circonstances atténuantes à ce grand créateur d’univers virtuels ? Que dire alors de Robert Doisneau qui a toujours entretenu l’ambiguïté sur l’utilisation de modèles ? Que dire aussi d’Eugene Smith ? Le pape du photojournalisme n’hésitait pas à faire répéter une scène qu’il avait vue ou à pratiquer la retouche sous l’agrandisseur. Sur « Mad Eyes », par exemple, représentant une malade mentale haïtienne, il élimine des personnages dans le fond et accentue le blanc de l’œil au pinceau. Idem pour la célèbre image de Minamata, subtilement éclairée par deux flashes.

Haro sur l’ordinateur ?

Ces quelques exemples ne doivent pas pour autant dédouaner le numérique et ses utilisations perverses. Car pour obtenir un trafic indécelable, Eugene Smith ou les censeurs chinois devaient passer des heures dans la chambre noire. Aujourd’hui, devant l’écran de l’ordinateur, la même manipulation prend tout au plus dix minutes et le document en résultant est un original reproductible à l’infini. Certains l’ont bien compris. En France, des magazines comme Infos du monde ne peuvent exister que grâce à la démocratisation d’outils de retouche tels que PhotoShop qui leur permettent de montrer la femme à trois seins ou l’enfant-cheval. Et la commission paritaire de les agréer sans sourciller, les assimilant ainsi aux Échos ou à L’Événement du Jeudi et leur accordant les mêmes avantages (TVA et tarifs postaux réduits). Vous avez dit « bizarre » ?

Il est vrai que les authentiques journaux n’ont pas les mains propres. Le 24 septembre dernier, le Point publiait une photo d’O. J. Simpson (encore lui !) avec ses deux avocats. Une scène qui n’a jamais eu lieu et pour cause. Elle fut montée à partir de deux documents d’agences différentes et créditée « REA-Sygma-le Point ». Dans un autre domaine, le magazine de mode new-yorkais Mirabella affichait récemment en couverture le portrait d’un top model reconstitué à partir de cinq visages photographiés par Hiro.

Depuis son invention, la photo a toujours été considérée comme plus proche du réel que les arts plastiques. D’où une grande illusion collective : « C’est vrai, puisque c’est sur la photo ». Seule la justice y a échappé, qui n’a jamais voulu accepter la photo (pas plus, d’ailleurs, que les enregistrements audio) en tant que preuve. La photo n’est pas la réalité. Ça va sans dire. Et mieux encore en le rappelant. La question de fond est bien là. Au-delà du débat sur le numérique qui ne joue finalement qu’un rôle de catalyseur et pourrait bien rendre à la photo son statut d’art graphique, ni plus ni moins objectif que les autres. Mais face à des enfants nourris quotidiennement au biberon de l’image, qui aujourd’hui, dans les écoles, enseigne les règles de la lecture iconographique ? 

Et la déontologie, bordel…

À défaut de poser des problèmes inédits, la démocratisation du numérique et ses utilisations insuffisamment contrôlées et/ou annoncées ne peuvent qu’accélérer la perte de confiance à l’égard de la presse. Il est donc urgent de réagir. Non pour crier « haro sur l’ordinateur », ni par corporatisme, mais bien pour édicter des règles communes. Passe encore que la publicité balance la Paradis dans une cage à moineaux. Il y a du rêve dans cette industrie-là… Mais les journalistes n’ont pas le droit de jouer sur l’ambiguïté du statut de la photographie.

Les auteurs, eux, savent que la manipulation apparaît dès qu’ils portent l’œil au viseur : quel cadrage, quelle focale, quelle exposition, quel message ? Jusque là, ils assumaient leurs choix. Au moins depuis la création de Gamma en 1966 qui imposa le crédit des photos. Aucun document ne transite entre une agence et un journal sans être signé et légendé. Sauf incident de parcours, tout litige à parution ne peut donc relever que de la responsabilité des médias.

Aujourd’hui, il suffirait donc d’accroître encore la rigueur dans la post-production de l’information pour éviter les dérives prétendument liées au numérique. Certains signalent l’utilisation d’archives. Soit. Et si nous allions plus loin ? Un simple recadrage peut déjà être lourd de sens. Mentionnons-le. À plus forte raison s’il s’agit d’une retouche ou d’un montage produit à partir de plusieurs photos. De même, donnons systématiquement la source d’une image. Y compris et surtout lorsqu’elle est issue d’un dossier de presse dont on ne peut contrôler le contenu.

Une question de conscience

Les services photo des médias sont prêts. Mais à des degrés divers. À Libération, par exemple, qui dispose pourtant de PhotoShop, on s’interdit toute intervention sur l’image. Pour Frédérique Deschamps, « les manipulations comme celles que l’on a pu voir dans le Point ou Time ne sont pas possibles chez nous. Il s’agit d’une volonté ferme, même si nous ne sommes pas à l’abri d’une erreur. Mais nous nous refusons toute retouche, fût-ce pour des motifs esthétiques, car cela pourrait nous mener à des choses incontrôlables. » Une position qui n’exclue pas les « farfeluteries ». Ainsi, lors de la passation de pouvoir entre Margareth Thatcher et John Major, un portrait réalisé en morphing (mixage informatique entre deux visages) avait-il été publié. Mais la mention « photomontage » était bien présente en légende.

À Télérama, ces questions se posent avec moins d’acuité. Pour le service photo, pas de raison en effet d’imaginer que les photos fournies par les chaînes de télévision soient trafiquées. En revanche, dans l’illustration de reportages de fond, les secrétaires de rédaction sont très vigilants sur l’exactitude des légendes. Et Solange Pierson croit davantage à la nécessité de ne pas trop décaler l’iconographie par rapport au texte, notamment lorsqu’il s’agit de sujets de société composés de propos recueillis. Difficile pourtant d’imposer aux journalistes-interviewer d’être également bons photographes…

À L’Événement du jeudi, les montages ou les images réalisées en infographie sont systématiquement signalées. Mais Patricia Lefebvre doit faire face à d’autres priorités : la précision des légendes, même pour des photos issues d’agences, ou encore l’absence de crédits sur les documents livrés avec les dossiers de presse, qui peuvent entraîner des conflits sur le paiement des droits d’auteur. Pour elle, « l’iconographe a surtout un rôle de contrôle auquel les maquettistes ou les secrétaires de rédaction sont moins sensibles. »

Pour des médias qui jouent volontiers la carte de la transparence, l’ajout de telles mentions (archives, dossier de presse, photomontage, recadrage et retouche) en sus de la signature du photographe ne serait pas trop contraignant. En tout cas, il permettrait de séparer le bon grain de l’ivraie et d’éviter les plus grosses bavures. Alors, chiche ? En attendant que chaque lecteur ait en tête ce mot d’Eugene Smith : « Je suis continuellement déchiré entre l’attitude du journaliste qui doit enregistrer les faits et celle de l’artiste qui est en mauvais termes avec les faits ». Et de poursuivre, ce qui semble être la seule règle qui vaille : « Mon problème essentiel est de rester honnête envers moi-même ». L’un des livres du grand photographe américain est d’ailleurs titré : Let truth be the prejudice. La vérité est un parti-pris.

Pascal Kober

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Toots Thielemans (1922-2016)

« Avec mon petit ventre rond, si je prends une longue note aspirée, je perd ma culotte. » Le grand-père espiègle éclate de rire. Toots a joué avec les plus grands, de Bill Evans à Elis Regina en passant par Ella Fitzgerald, Michel Legrand, Pat Metheny ou encore Jaco Pastorius. Je l'ai rencontré au festival Jazz à Vienne en 1994. Un entretien très débridé ! © Photo : Pascal Kober

« Avec mon petit ventre rond, si je prends une longue note aspirée, je perd ma culotte. » Le grand-père espiègle éclate de rire. Toots a joué avec les plus grands, de Bill Evans à Elis Regina en passant par Ella Fitzgerald, Michel Legrand, Pat Metheny ou encore Jaco Pastorius. Je l’ai rencontré au festival Jazz à Vienne en 1994. Un entretien très débridé ! © Photo : Pascal Kober

Réactualisation du lundi 22 août 2016. Toots nous a quittés aujourd’hui. Un grand bonhomme que j’ai croisé pour la dernière fois en Belgique il y a quatre ans à Jazz Middelheim, le festival d’Anvers. Une chronique publiée dans le numéro 661, daté automne 2012, de la revue Jazz Hot (à relire en cliquant ici) et dont j’extrais ces quelques mots : «  Joyeux anniversaire, cher Toots  ! Le plus grand harmoniciste de la planète fête ses 90 ans. Et c’est bonheur que de revoir Toots Thielemans en scène, musicalement très à son aise devant sept mille personnes, toutes debout pour saluer les dernières notes d’un What a wonderful world qui me met les larmes aux yeux. Sûr qu’un monde selon Toots serait en belle harmonie  ! L’homme joue. Il joue bien. Et se joue de tout. De l’histoire du jazz en greffant habilement un Summertime au célèbre riff d’introduction de All Blues. Ou de son public qui sifflote Bluesette à l’unisson avec lui. Une seule date cet été à son carnet de bal  : Anvers. Pour un festival dont il est le parrain depuis 1981. Ici, Toots est chez lui, à quelques encablures de Bruxelles, sa ville natale. Et dans un port, le deuxième d’Europe après Rotterdam, qui a vu des millions d’émigrants se rendre aux Amériques via la fameuse ligne transatlantique de la Red Star (l’étoile rouge !) au tournant des XIXe et XXe siècle (…) »

J’avais également rencontré Toots au festival Jazz à Vienne (Isère) le 4 juillet 1994 pour ce délicieux entretien paru dans le numéro 519, daté avril 1995, de la revue Jazz Hot. À relire en écoutant Bluesette :

« Avec mon petit ventre rond, quand je prends une longue note aspirée, je perd ma culotte. » Jean-Baptiste (Toots) Thielemans éclate de rire : «  Depuis, Quincy Jones me surnomme Suspenders (NDLR : Bretelles)  ». Ce grand-père espiègle, né en 1922, a joué avec les plus grands musiciens : de Bill Evans à Elis Regina en passant par Ella Fitzgerald, Michel Legrand, Pat Metheny ou encore Jaco Pastorius. À plus de « septante ans », ce talentueux touche-à-tout (compositeur, guitariste, harmoniciste et… siffleur) est plus actif que jamais. Quelques semaines avant de boucler l’enregistrement de son album East coast, west woast, Toots Thielemans avait participé au Brasil project aux côtés de ses amis brésiliens : Joáo Bosco, Chico Buarque, Dori Caymmi, Eliane Elias, Gilberto Gil, Ivan Lins, Milton Nascimento, Ricardo Silveira, Caetano Veloso, etc. « Toute (sa) fanfare  », comme il la qualifie lui-même, tournait durant l’été 1994 dans les festivals. Nous l’avons rencontré à Jazz à Vienne. Discussion amicale à bâtons (très, mais alors vraiment très ;-) rompus, sur le Brésil et sur le reste, avec, en toile de fond, la musique du duo Gilberto Gil – Caetano Veloso…

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Qu’est-ce qui vous a donné envie de réunir ce Brasil project ?

Au départ, ce n’était pas mon idée. Je ne me suis pas dit : « Tiens j’ai envie de faire un disque avec toutes les locomotives du Brésil (Rires), tous ces calibres… » C’est une initiative du producteur Miles Goodman… C’est un beau nom, ça, Miles Goodman… Comme Benny Goodman et Miles Davis (Rires)… Il m’a dit : « Toots, tous les Brésiliens vont venir à Los Angeles. Et ils t’aiment tant… Ils n’arrêtent pas de parler de toi. » Moi, je n’y croyais pas du tout. Mais deux semaines après, il m’annonce qu’il avait contacté tous les musiciens et trouvé la compagnie qui acceptait de financer le projet. Je suis donc parti une dizaine de jours en Amérique. On a enregistré deux thèmes par jour dans une hospitalité et une collaboration totale. Les egos, au vestiaire ! Une merveilleuse aventure… Comme si je voulais réaliser un disque en France. Un French Project. Et dans mon CD, il y aurait deux morceaux avec Hallyday, deux avec Aznavour, un avec Bruel, un… non, deux (!), avec Petrucciani…

Le rôle du producteur est-il si important sur une telle entreprise ?

Tu sais, j’ai échoué tellement de fois en sortant des disques où je contrôlais la situation que je me suis dit : « Tiens, voilà des producteurs qui me respectent. Alors, OK.  » J’ai eu de la chance que ces gens soient sur la même longueur d’onde que moi. Je n’avais pas beaucoup à me tracasser. Les Brésiliens sont arrivés au studio, ils ont répété et moi, j’étais dans mon coin et j’écoutais. À la fin, je connaissais le truc par cœur tellement ils l’avaient joué. J’ai une bonne oreille. Au moment d’enregistrer, on a mis en boîte deux prises chaque fois, en cinq minutes.

Le musicien serait donc mal placé pour être son propre producteur ?

Je ne sais pas… J’en parlais à Charlie Haden, tiens. Lui, il m’a dit qu’il avait une vision très claire de ce qu’il veut pour ses sessions personnelles, mais que lorsqu’il joue pour d’autres gens, il ne sait pas quoi faire.

Un autre que vous aurait-il pu réunir aussi facilement tant d’artistes brésiliens connus ?

Quincy (NDLR : Jones) les aurait rassemblés. Quincy est un alchimiste. Comme l’architecte ou plutôt comme l’entrepreneur de bâtiment qui engage un monsieur pour la construction, un spécialiste pour les petits rideaux, un autre pour les meubles, pour le choix des tapis, etc. Ça, c’est le boulot du producteur. Mais moi, je ne sais pas faire. Il faut donc trouver quelqu’un qui veuille bien mettre de l’argent sur le projet. Parce qu’il y a des musiciens qui ne sont pas gratuits non plus… Herbie Hancock … (Il réfléchit.) Tu sais qu’Herbie a joué deux semaines pour moi dans un restaurant italien ? Il venait d’arriver à New York et moi, j’avais arrêté la route avec George Shearing et je cherchais un pianiste. À cette époque-là, il y avait des salles de répétitions dans de petits studios au premier étage de certains immeubles. Je me promenais dans la rue, j’entends de la musique, c’était Donald Byrd… (À ce moment-là, Gil et Veloso quittent leurs loges et passent devant nous pour rejoindre la scène du théâtre antique de Vienne.) Qu’est-ce qu’il est beau, Caetano…

Herbie Hancock venait donc d’arriver à New-York…

Oui, j’avais besoin d’un pianiste. J’entends de la musique, je monte et là, je me dis : « Nom de dieu ! » (Rires). Herbie n’avait pas encore écrit son Watermelon man. Il cherchait, mais la base était là. Alors, je demande à Donald Byrd : « Est-ce que tu as besoin de ce pianiste ce week-end ? » Et lui me répond : «  Ah non, non, il cherche du travail, il doit manger. » (Rires)

J’en reviens au Brasil project. Quelle était la ligne directrice ?

Aucune… (Rires.) On m’a simplement demandé d’être moi-même, plongé dans le bain mélodique et harmonique des Brésiliens. On m’avait envoyé des cassettes pour la préparation, mais toutes les orchestrations ont été écrites dans le studio par Oscar Castro-Neves, le guitariste. C’est d’ailleurs lui qui a aussi arrangé le disque de Terence Blanchard en hommage à Billie Holiday, toujours pour Miles Goodman. Et Terence Blanchard joue aussi sur le mien (East coast, west coast).

Une autre réalisation qui marque un retour aux sources du jazz…

Oui, dans le choix des thèmes et des musiciens : Charlie Haden et Peter Erskine pour la rythmique de la côte ouest, et Cecil McBride, Lyle Mays et Charles Davis, le tout petit batteur (par la taille, hein…) de Terence Blanchard, pour la rythmique de la côte est. C’est un beau souvenir… Nous n’avons pas choisi des thèmes très récents : Giant steps, A child is born ou encore In your own sweet way que j’ai interprété en duo avec Mike Mainieri. Oh, que c’était beau… Ça fait plaisir, à mon âge, de voir que tous ces gars fantastiques raturent leur agenda pour venir jouer avec moi. Aujourd’hui, je n’ose pas l’écouter. J’ai insisté pour qu’on ne m’envoie pas de cassettes. Parce que tu vois, quand tu vas en studio, tu joues, tu enregistres, OK, ça sort très bien, tu es emballé. Mais le lendemain, tu peux être déçu. Tu sais, après cinquante ans de métier, tu te méfies de tes enthousiasmes. Et de tes dépressions, aussi… En somme, c’est le beau mystère de l’accouchement créatif. Mais si c’était du tout cuit, s’il suffisait d’aligner ses gammes dix heures par jour pour devenir un génie, ce ne serait plus drôle. Il n’y aurait plus qu’à travailler… (Rires) Moi, je suis arrivé en Amérique en 1951. J’avais ma carte avec mon visa d’émigration. J’étais en règle, mais le syndicat des musiciens était très strict. Il fallait être résident depuis six mois à New York avant de pouvoir travailler. Et encore, pas plus de trois jours par semaine. Alors, par mon père qui avait un ami politicien, j’ai trouvé une petite place aux lignes aériennes belges, à la Sabena, où je gagnais tout juste assez pour manger. Je n’étais pas très utile. J’étais dans le grenier. Je m’occupais d’envoyer des réclames, des affiches, des encriers et toutes sortes de choses (Rires). Mais le week-end, j’allais écouter de la musique. Et il y avait les lundis de Birdland… J’avais déjà rencontré Charlie Parker en Europe… (Silence.) Mais on dérape maintenant du Brasil Project. De quoi on parlait ? Je suis spécialiste des digressions, tu sais (Rires)… Méfie-toi ! Tu poses une question et une demi-heure après, je ne sais plus ce que tu avais bien pu me demander (Rires). Ça bouge dans ma tête. Il y a tant d’émotions… Je n’ai jamais gagné un franc avec autre chose que la musique. Et j’ai démarré en 1946. Je suis allé en Amérique en 1950, j’ai été découvert par Benny Goodman, j’ai fait toutes sortes de trucs : du studio, des films, des machins… Et les critiques disent toujours : « Ouais, il est pas mauvais, mais ce n’est pas un pur. C’est un vendu (Rires). » Mais j’accepte… Bluesette est d’ailleurs un morceau pour toilettes de supermarché. On l’entend partout, dans les gares, dans les ascenseurs, etc. Comme ’Round midnight. Mais c’est aussi mon meilleur numéro de sécurité sociale à la mairie (Rires)

Quel a été votre premier contact avec la musique brésilienne ?

Les disques de Jobim. L’explosion de la bossa-nova doit être comparée à celle du be-bop. Les Brésiliens ont été influencés par cette génération de musiciens : Parker, tout ça, qui ont révolutionné le jazz. Ils ont assimilé et pas bêtement copié. Dans une chanson brésilienne, il y a quelque chose de diabolique, quelque chose d’unique. Seuls les Brésiliens peuvent écrire comme ça. Avec les mêmes accords que tout le monde, ils trouvent encore des notes différentes. Ils ont un choix de notes très spécial pour construire un dessin mélodique tout à fait personnel. Et ça me touche… Par rapport à la musique cubaine par exemple, la musique brésilienne est beaucoup plus subtile. La salsa, c’est gai, mais après un moment, c’est la petite profondeur sur le plan harmonique. Tu ne te mouilles même pas les genoux (Rires).

Des musiciens cubains jouent pourtant du jazz, et avec quel brio…

Oui, mais c’est du jazz cubain. Avec l’accent cubain. Pour moi, ils jouent avec l’accent mis sur l’énergie.

Que pensez-vous d’autres musiciens des Caraïbes comme Michel Camilo ?

Oh, quand même… Ce n’est pas du jazz… Non…

Qu’est-ce qui, selon vous, définit le jazz ?

Alors là, tu me poses la colle du siècle… Pour moi, le jazz, c’est ce que la semence africaine a produit dans le terreau américain. Ce terreau était anglo-saxon mais au Brésil ou ailleurs, la racine a donné une autre fleur… Il n’y a pas à tourner autour du pot, mon coco, c’est ainsi. Enlève l’ingrédient Afrique de la musique populaire et il n’y a plus de jazz. Le jazz est une plante qui a grandi là, qui s’est épanouie. Le vent a soufflé le pollen dans le monde entier. Il m’a touché, moi, il a touché Django, il touche un petit bonhomme au Japon… C’est le langage de l’homme noir mais tout le monde a le droit d’essayer d’en jouer et d’en parler. Qu’importent les polémiques dans les magazines… Et puis, regarde ce qu’il se passe en France… Des trucs formidables… Et en Belgique, les Zap Mama… Attention, hein, c’est drôlement chouette… Ah ouais… Parfois, je me demande si le jazz n’est pas comme une langue… Mais non, c’est encore différent… Ça va un peu plus loin. Quand un Blanc joue du jazz, il a un accent blanc. C’est vrai, moi, j’ai mon petit accent belge. Au début, tu sais, tous les jeunes musiciens européens qui vont en Amérique font une imitation servile de leur idole. Mais le tout, c’est d’être toi-même. Joue ce que tu es. J’aurais toujours mon accent belge en parlant français. Pareil en jazz : je suis né ici, j’ai écouté Édith Piaf, Charles Trénet, le bel canto et la chanson de ma maman. Ce sont mes racines.

Comment était perçue votre culture d’Européen lorsque vous êtes arrivé aux États-Unis dans les années 1950 ?

Dans la communauté des musiciens, il n’y avait pas d’a priori. Ils écoutaient avec leurs oreilles. Pas avec leur yeux. Même Miles agissait ainsi. D’ailleurs, pendant longtemps, il n’a jamais joué une orchestration d’un Noir. Il travaillait avec Gil Evans. Ah !… Pourquoi  ? Parce qu’il écoutait avec ses oreilles. Bien sûr, il ne pouvait pas supporter qu’un Blanc gagne beaucoup plus d’argent en faisant une pâle photocopie de son idole noire… Parfois on me disait : « C’est drôle qu’un gars venant d’un autre pays s’intéresse à notre musique. » Alors, je répondais : « Non, les géants ont créé le jazz à New York. Le petit mec qui entend vos disques au fin fond de l’Ohio ou au Canada n’est pas différent de moi. Je suis en Belgique. C’est juste un peu plus loin. » Mais j’ai toujours été accepté. Enfin, non. Pas accepté. Jugé sur ce qui sortait de moi, de mon instrument. L’émotion, le feeling… Je crois que le Noir est même plus objectif, plus hospitalier ou plus respectueux.

Parmi les jeunes musiciens de jazz, quels sont ceux qui vous touchent le plus ?

Je ne les connais pas tous… Quand tu démarres, le message doit mûrir, la semence doit germer. Mais un musicien qui devient grand promet dès le début. On l’entend tout de suite.

Comme Herbie Hancock ?

Ah ouais… Moi, j’ai été mordu tout de suite. Je savais… Tiens, au début des années 1960, je devais tourner en Suède. Je croise Herbie. Il me dit qu’il veut absolument m’accompagner. Mais moi, je n’avais pas un gros budget et je lui réponds : «  L’année prochaine, peut-être que je pourrais. Mais toi, tu ne pourras sûrement plus. » De fait, l’été suivant, il jouait avec Miles Davis. Une montée en flèche. Mais à juste titre… Parce que les jeunes lions du piano qu’on tente de promouvoir aujourd’hui, qu’il essaient d’abord d’aller cirer la chaussure de monsieur Hancock… En écoutant Herbie, moi j’apprends. Je bande et j’apprends.

Propos recueillis par Pascal Kober

• CD The Brasil project, 1992, BMG 01005 82101-2.

• CD East coast, west coast, 1994, Private Music 01005 82120-2.

• Depuis le décès de son manager Dirk Godts en 2010, Toots est représenté par : Toots BVBA, Veerle Van de Poel, Zagerijstraat 41, B- 2530 Boechout, Belgique. Téléphone : +32 33 373 173. Mobile : +32 495 50 9443. Site Internet : cliquer ici et aussi ici.

Le numéro 652, daté été 2010, de la revue Jazz Hot propose également un autre entretien avec Toots Thielemans, par Jean-Marie Hacquier, complété par une biographie détaillée et une large sélection discographique des enregistrements de Toots Thielemans en tant que leader, co-leader et sideman.

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La fille de la ligne A

Des rails. Encore des rails. Nikolaï décida qu’il était temps de faire une pause. Métro… Train… Métro… Train… Métro… Train… Le rythme durait depuis trop longtemps. Obsédant. Ce n’était pas « Donna Lee ». Non. Pas l’un de ces tempos rapide qu’il aimait tant. Non. Juste un cadencement auquel il ne pouvait échapper. Le cadencement de sa plus belle échappée. Quatre jours plus tôt, il quittait Saint-Petersbourg et son petit appartement collectif de Babushkina Ulitsa au bord de la Neva prise par les glaces. Station Proletarskaïa en direction de Nevskiy Prospekt, express de nuit pour la capitale soviétique, métro jusqu’à la gare de Moskwa Bieloskaïa, et enfin, après quarante-trois heures de train direct, Nikolaï et sa contrebasse entraient dans les couloirs du R.E.R.

(…)

Des rails. Toujours des rails. « … terminus du T.G.V. », la musique des mots était presque la même des deux côtés de sa frontière. Elle disait la fin de la première étape. Tout à coup, il retrouva ce sentiment de légère angoisse qui, à Paris, l’avait fait hésiter : pour seule boussole, quelques bribes d’anglais et là, en face de lui, Grenoble, la ville, sous la neige. L’univers urbain occidental le déconcertait encore et c’est tout juste s’il remarqua les formidables murailles rocheuses qui, où que porte le regard, barraient l’horizon. Sa préoccupation du moment était ailleurs. Déjà, la nuit précédente avait été épouvantable : à peine évadé des interminables couloirs du métro et de ces damnées portes automatiques, Nikolaï s’était effondré sur un banc de la gare de Lyon. Mais comment s’assoupir sereinement sur des sièges aussi peu adaptés au repos horizontal tout en veillant d’un œil sur la contrebasse ? Décidément, il était temps de faire une pause.

De Grenoble, il ne connaissait rien. Rien, ou seulement le peu que ses manuels de géographie du palais des pionniers lui avaient appris : « Ville universitaire française, située dans le massif des Alpes, sur la rivière Isère. Les Jeux olympiques d’hiver s’y sont déroulés en 1968. Nos athlètes y ont remporté de nombreuses médailles. »

(…)

Point à la ligne. Nulle part ailleurs, il n’avait pu lire quoi que ce soit à propos d’un quelconque festival de jazz à Grenoble. Mais qui pouvait bien se préoccuper de musique noire américaine dans la Russie brejnevienne ? Aujourd’hui, les choses avaient un peu évolué. A Saint-Petersbourg, son ami David faisait vivre tant bien que mal un petit jazz-club et Nikolaï s’y produisait aussi souvent que possible lors de mémorables jam sessions. Un soir de février, l’année dernière, il y avait rencontré des musiciens français. Un journaliste de Grenoble les accompagnait et lui avait fait cadeau d’un exemplaire de sa revue. Jazz Hot. Ils avaient bu et bavardé, de tout et de rien, de choses et d’autres, mais Nikolaï avait gardé ancrée en mémoire cette information sur un festival qui, depuis quelques années, accueillait des jazzmen soviétiques. A la fermeture du club, il avait insisté pour inviter les Français chez lui. Il faisait froid, très froid. Il était tard, fort tard. Sa banlieue était loin, trop loin. Et évidemment, le trolley ne roulait plus. Il y avait bien ce chauffeur turc toujours aux aguets sur le trottoir d’en face dans l’attente de clients, mais comment faire entrer un big band dans une Lada ? Après maintes palabres et force devises, le Turc leur avait dévoilé ses ressources cachées : un minibus qui dévalait l’avenue déserte à tombeaux ouverts fut stoppé net d’un signe de la main. Quelques minutes plus tard, l’orchestre au complet fonçait en direction de Babushkina Ulitsa.

Le lendemain, Nikolaï regretta d’avoir eu l’esprit trop embrumé pour leur demander leurs adresses.

(…)

Il lui fallait maintenant trouver le festival. Mais où ? Il était déjà tard et il ne se voyait pas arpenter la ville avec sa contrebasse. A Saint-Petersbourg, il n’était pas rare qu’ils fassent plusieurs kilomètres ensemble. À pied. Sous la neige. Mais à Saint-Petersbourg, il savait toujours où aller. À pied, chez son saxophoniste qui habitait si loin de l’arrêt de bus. Ou à pied, chez lui, après la fermeture du jazz-club.

Mais où à Grenoble ? Sur un plan, il repéra l’université, la rivière Isère et le village olympique. Mais pas les Alpes. Ni le jazz. Un point, pourtant, semblait plus coloré que les autres, comme si les énergies de la ville se concentraient là. Il décréta que si tous les autobus de Grenoble tournaient autour de cette place de Verdun, c’est qu’il devait forcément s’y passer quelque chose. Le 602 était là, devant lui, et il décida d’y monter. Mais comment faire entrer un contrebassiste avec son instrument dans un autobus ? Déjà dans le T.G.V., Nikolaï avait eu des problèmes. Sa contrebasse était posée sur un siège à côté de lui, mais il avait cru comprendre, à son air fâché, que le contrôleur voulait lui faire payer une seconde place. L’affaire s’était terminée dans le compartiment à bagages, lui sur un strapontin, elle encombrant l’allée.

Curieusement, le 602 était presque vide et un passager l’aida même à y faire entrer son instrument. Machinalement, il explora le fond de sa poche pour en sortir de la menue monnaie, mais il chercha en vain la petite boîte grise qui, dans tous les autobus soviétiques, accueillait les cinq kopecks règlementaires dont chacun s’acquittait. Du regard, il interrogea le conducteur qui lui montra une autre boîte, bleue, et lui remis un ticket en échange de quelques francs.

Nikolaï s’était assis côté fenêtre. Le nez collé à la vitre, il tentait maintenant de déceler le moindre indice qui pourrait le mettre sur la piste du jazz. Depuis que le bus avait quitté la gare, quelque chose le perturbait. Un sentiment diffus qu’il avait du mal à cerner. La première affiche du festival, sur le boulevard Gambetta, fut comme un déclic : s’il n’avait pas eu besoin de gratter le givre sur la vitre pour l’apercevoir, c’est que le bus était chauffé (et pas seulement pour le conducteur), même en plein hiver. Nikolaï sourit intérieurement de sa naïveté, tout en se disant qu’il devait être sur la bonne voie. Il se recala tranquillement dans son siège.

A l’approche de la place de Verdun, le tempo s’accéléra. D’abord, quelques vagues stridences. Puis de la musique. Venue d’où ? Nikolaï écarquilla les yeux. Et les oreilles. Son bus se faisait dépasser. Par un autre bus. Mais était-ce vraiment un bus ? Un saxophoniste sur la plate-forme arrière. Habillé comme un cosmonaute. Deux immenses haut-parleurs. Et le mot « jazz », inscrit partout. En gros. Fébrile, Nikolaï courut à l’avant pour ne rien perdre de l’apparition. C’était elle, évidemment, qu’il lui fallait suivre pour trouver le festival. 

Arrivé à l’arrêt Verdun, le jazz-bus avait déjà fait le tour de la place. Il bifurquait maintenant dans une petite rue sur la gauche. Le 602, lui, devait continuer tout droit. Nikolaï bondit à l’extérieur. Avec toute la célérité que pouvait lui consentir encore son encombrante compagne. Courir ? Inutile. Il n’y arriverait jamais. Un T.G.V. gris-bleu au nez coupé arrivait à droite. Les rails semblaient aller dans la bonne direction. Nikolaï s’engouffra dans le tramway. Il scrutait maintenant les rues et leurs mille lumières. En quête d’une note. Bleue. A la station suivante, toujours rien. Le flot des passagers. Montant. Descendant. Comme le lent ressac de la Baltique. C’est tout juste s’il remarqua une vague plus haute que les autres. Le tram s’apprêtait à redémarrer lorsqu’une furie rousse écarta les portes à grand peine pour ne pas rater ce départ. Une fois de plus, Nikolaï sourit intérieurement. Décidément, ces Occidentaux se montraient toujours pressés.

*  *
*

Geri était au bord de l’épuisement. Cette tournée d’hiver durait depuis trop longtemps. Surtout, elle était mal organisée. Son manager n’était pas fort en géographie : de Londres à Tokyo. De Tokyo à Oslo. D’Oslo à San Francisco. De San Francisco à Grenoble. Le tout en moins de quinze jours. Là, c’en était trop. Fatigue. Décalage horaire. Après la tournée, il faudrait remettre les pendules à l’heure. Changer de manager.

Oh certes, tout le monde était aux petits soins. Vols première classe. Nuits en palaces. Repas dans les meilleurs restaurants. Mais somme toute, rien qui ne soit injustifié. En trois ans, son duo avec Sonny avait atteint des sommets. Pas courant pour des musiciens de Montréal. Le jazz consacre plus volontiers les formations nées à New York City. Mais Geri revendiquait haut et fort sa nationalité canadienne et sa francophonie.

À Grenoble, pour la dernière date de cette tournée, ils devaient se produire à quatre reprises. Lors de la grande soirée d’ouverture du festival. Puis, pour un concert gratuit à l’heure du déjeuner dans le cadre des « Midi Jazz Tag ». Et enfin à l’occasion de deux spectacles privés. L’un dans un appartement (l’idée d’une prestation très intime les avait séduits). L’autre ce soir, en avant-première pour les organisateurs.

Sonny n’était pas avec Geri dans la limousine qui les attendait à l’aéroport de Lyon. Perdu lors du transit à Paris. Ce n’était pas la première fois. Mais l’incident agaçait toujours Geri. Depuis qu’ils tournaient ensemble, Sonny cherchait systématiquement à s’échapper du circuit. « Pour prendre l’air », disait-il. L’air du temps, probablement. En y réfléchissant un peu, Geri regrettait parfois de ne pas s’accorder davantage de temps pour mieux connaître les villes où le duo se produisait. Mais la logistique prenait toujours le dessus. Avion, palace, salle de concert, essais de son, restaurant, spectacle, palace… Et le cycle recommençait. Imperturbable. Finalement, Sonny avait sûrement raison. Après leur séjour, Grenoble ne serait qu’une ville, anonyme, de plus. Comme tant d’autres. Seuls quelques courts instantanés lui resteraient en mémoire. Le pont sur la rivière à la sortie de l’autoroute. Les montagnes ceinturant la ville. Et la circulation singulièrement ralentie par la neige. À cette période, à Montréal, le Saint-Laurent charriait toutes les glaces du monde, le mont Royal n’était qu’une petite bosse pour les skieurs de fond et personne ne songeait à nettoyer son véhicule avant que le salage des rues ne soit achevé.

La limousine, propre, filait en direction de l’hôtel.

(…)

Vingt heures. Le Ciel. En temps normal, Geri aurait pu trouver charmante cette petite salle de spectacle. Mais sans nouvelles de Sonny, son souci était autre. Depuis Paris, il avait bien appelé l’organisation pour dire qu’il arriverait en train. Mais à l’arrivée du T.G.V., personne ne l’avait vu. Et le concert devait débuter dans une demi-heure…

Vingt heures dix-sept. Se calmer. Un peu d’air frais lui ferait du bien. Geri quitta discrètement Le Ciel. A l’extérieur, un saxophoniste curieusement accoutré jouait du piccolo dans un bus aux couleurs du jazz.

Vingt heures vingt-deux. Jacques, le directeur du festival, décrocha le téléphone. C’était le patron d’un bar de l’avenue du général Champon. À la descente du tramway, un musicien était entré pour lui demander son chemin. « Le chemin du Ciel ? Très simple. » Il suffisait de prendre le tram dans l’autre sens. Il venait juste de le raccompagner…

Vingt heures vingt-trois. Jacques remonta les escaliers quatre à quatre pour prévenir Geri… C’était bien dans les habitudes de Sonny. Lui seul était capable de vivre une telle aventure. Geri secoua la tête en signe d’incompréhension. Sa longue chevelure rousse se déploya, lui masquant un instant le visage. Au même moment, un tramway arriva de la place de Verdun. Ils scrutèrent les passagers. Là, au milieu de la rame, une tête dépassait les autres têtes. La tête de la contrebasse. La contrebasse de Sonny. Jacques réagit au quart de tour. Courir. Vers le prochain arrêt. Maison du tourisme. Heureusement, pas trop éloigné. Geri lui emboîta le pas. Vitesse grand V. Et arriva même avant lui. Le tram allait partir. Elle eut juste le temps de bloquer les portes pour s’y faufiler.

*  *
*

« Sonny ! » A peine entrée, la jeune femme rousse avait hurlé. Nikolaï sursauta. Se retourna. C’est lui qu’elle regardait avec des yeux ronds. Le moment d’étonnement dura deux secondes. Pour Nikolaï, il aurait pu durer deux siècles.

*  *
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Cette année-là, on annonça un changement de programme pour la soirée d’ouverture du festival. La célèbre chanteuse canadienne ne viendrait pas avec son compagnon attitré. Exceptionnellement, un jeune contrebassiste russe l’accompagnerait ce soir. Chacun crut à un concert unique, spécialement produit dans le cadre du festival. On ne s’aperçut vraiment des bouleversements dans la vie du duo que lorsque le label grenoblois Thelonious fit paraître un compact disque intitulé : « Geri & Nikolaï, live in Le Ciel ». Les deux premiers thèmes résumaient leur étrange histoire : « Take the A tram » et « The girl from the ligne A ».

Pascal Kober

Cette nouvelle, illustrée par des photographies en noir & blanc de l’auteur, a été écrite en 1993, sur une commande de l’agence de communication Image Langage, pour une plaquette institutionnelle de la Semitag, la société grenobloise gérant les transports en commun de l’agglomération.

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Notenstock : À côté du soleil

Entre deux voyages en Amérique latine, Michel Jules fut pendant longtemps parmi les piliers de l’organisation de Jazz à Vienne. C’est là qu’il a croisé le percussionniste Luiz Carlo de Paula qui accompagnait Jorge Ben. Belle rencontre, concrétisée par ce premier enregistrement en compagnie d’un autre guitariste  : Stéphane Sarlin. Le trio, acoustique, marie, avec beaucoup de bonheur, rythmes du Brésil, swing et délicatesse de jeu. Le cocktail se partage avec d’autant plus de plaisir qu’on a rapidement le sentiment d’avoir toujours goûté à ces mélodies fort bien troussées. À côté du soleil, mais toujours sous l’ombre délicieuse d’un chapeau de paille multicolore pour éviter la canicule. La pochette résume toute l’ambiance  : un disque frais comme un petit matin sur les côtes tropicales.

Pascal Kober

Musiciens  : Michel Jules (g), Luiz Carlos de Paula (perc) et Stéphane Sarlin.
Thèmes  : Itapemirim, Stéphanie, Back to Bamako, Tropiques, Rio soul, Joly swing, Petite soeur, Libre livre, A côté du soleil, Balanço.
Enregistré  : en mars et avril 1992 à Lyon.
Durée  : 50’07  ».
Référence  : Lazer Production LZ 105.

Chronique publiée dans le numéro 494, daté novembre 1992, de la revue Jazz Hot.


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Sophia Domancich trio : Funerals

Chaos et instants de sérénité, sentiers buissonniers et échappées subtilement balisées, musique envoûtante comme un voyage amoureusement concocté. Et l’immense plaisir de se laisser prendre la main par un guide aussi charmant. Sophia Domancich part à la découverte de paysages de contrastes tout en se permettant quelques incursions sur des terres déjà explorées. Au programme : finesse de jeu, musicalité et élégance. Fragilité aussi, comme dans ce chant aux accents désespérés qui évoque Robert Wyatt ou Phil Minton. Et puis d’autres grands aînés dont elle effleure furtivement l’œuvre comme pour mieux leur rendre un discret hommage : Jean-Paul Céléa, peut-être, pour la formidable dynamique du son à la contrebasse et le jeu à l’archet d’un musicien dont il faudra reparler. Carla Bley, Dvorak, Charlie Haden ou Christian Vander aussi, dans ces riches arrangements de cuivres, sombres et magnifiques comme les longues nuits du Grand Nord (un beau travail des frères Guillard et de Gérard Lhomme à la console de mixage). Instants graves aussitôt enluminés par la limpidité d’une pianiste qui utilise toutes les ressources de l’instrument (notes étouffées, dynamique du clavier, percussions, etc.). Le trio de la belle Sophia sait swinguer quand il le décide et occuper l’espace avec une rare ampleur. Surtout, il ne ressemble à aucun autre. Un rêve de musique dans lequel on se laisse emporter. Loin. Très loin. L’une des voix les plus originales qu’il m’ait été donné d’écouter ces derniers temps dans les mondes du jazz.

Pascal Kober

Musiciens  : Sophia Domancich (p), Paul Rogers (b et Bruno Tocanne (dm).
Musiciens additionnels : Alain Guillard (s), Yvon Guillard (tp), Jérôme Naulais (tb) et John Greaves (voc).
Thèmes  : Funerals, Lydia, Subtil, Défilé, B. Rubatto, Mardi Gras, Back Where We Began, Funerals 2, Derision.
Enregistré : en juillet 1991 à Chennevières-sur-Marne.
Durée : 55′ 10″.
Référence : Gimini Music GM 1001 (distribution : Harmonie).
Site Internet : cliquer ici.

Chronique publiée dans le numéro 494, daté novembre 1992, de la revue Jazz Hot.

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Jaco Pastorius : Live in New York City, volume three

Paris. New Morning. Hiver 1984. Mon dernier concert de Pastorius. Mais était-ce bien un concert  ? Était-ce bien Pastorius  ? Ou l’ombre de celui qui fut le bassiste le plus inventif de ces dernières années  ? Pourquoi n’ai-je résisté que durant deux thèmes  ? Les réponses sont sur ce disque, enregistré en 1985 à New-York. Musiciens insipides, arrangements inexistants, réglages de son en plein milieu du concert, beuglantes du chanteur, citations musicales de mauvais goût, bruit de fond du public, vibrations du timbre de la caisse claire pendant les chorus, Naïma de Coltrane devenu Niema sur le livret, mêmes plans de basse, pourtant emblématiques, péniblement (et parfois approximativement) ressassés, et pour finir, le grand Jaco trébuchant rythmiquement et se faisant seconder par Hiram Bullock à la guitare sur Teen town, un thème au phrasé complexe qu’il avait lui-même écrit à un tempo autrement plus rapide, en 1977, pour Weather Report. Nous sommes là à des années-lumière de deux authentiques merveilles aujourd’hui rééditées en compact  : Invitation du Word of mouth big band, enregistré en 1983 au Japon par Warner (WPCP-4932) et le double album en public Shadows and light de la chanteuse Joni Mitchell où le bassiste apparaissait en pleine possession de ses moyens en 1979 avec Don Alias, Michael Brecker, Lyle Mays et Pat Metheny (Asylum 704-2). Ce disque médiocre témoigne quant à lui de la période la plus sombre (après 1984) de l’existence de Pastorius. Message aux charognards  : arrêtez le massacre.

Pascal Kober

Musiciens  : Jaco Pastorius (b), Hiram Bullock (g), Kenwood Dennard (dm), Butch Thomas (s), Delmar Brown (synth), Michael Gerber (p) et Jerry Gonzales (tp, perc).
Thèmes  : Bass & percussion intro, Continuum, N.Y.C. groove #2, Teen town, Alfie, Why I sing the blues, Promise land, If you could see me now, Niema (sic).
Enregistré  : en novembre 1985 à New York.
Durée  : 71’01  ».
Référence  : Big World Music BW 1003.

Chronique publiée dans le numéro 496, daté janvier 1993, de la revue Jazz Hot. Mise à jour du 8 avril 2004 : il semblerait que la publication de ce disque (et d’une longue série d’autres tout aussi médiocres) ait été faite pour de bonnes raisons. Lire ici.


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Guadeloupe : Pointe-à-Pitre, un blues ultramarin

L’été sera hot à l’ombre des palmiers de l’étrange lucarne. Cet été 1992, Antenne 2 diffusera en effet chaque mardi l’une des sept émissions de cinquante-deux minutes réalisées par RFO durant le festival de jazz de Pointe-à-Pitre. Plantons le décor : les palmiers ne sont pas qu’un effet de style. Ils encadrent une gigantesque scène montée en front de mer, sur la Darse. La fournaise est au rendez-vous, de même que les providentielles pluies tropicales. C’est là, à 6 756 kilomètres de Paris, que la radio-télévision française d’outre-mer, a organisé, en mai dernier, la deuxième édition de son festival de jazz.

Akiyo, Jazz à Pointe-à-Pitre, Guadeloupe, France, 1992. L’appel des tambours du gwo ka couvrait parfois la fuite des évadés. Aujourd’hui, le groupe Akiyo rythme les chants et les danses de la vie antillaise. Réuni sous forme d’association, il rassemble plusieurs centaines de musiciens et compte quelques uns des plus fameux « tambouillés » de la région. © Photo : Pascal Kober.

Akiyo, Jazz à Pointe-à-Pitre, Guadeloupe, France, 1992. L’appel des tambours du gwo ka couvrait parfois la fuite des évadés. Aujourd’hui, le groupe Akiyo rythme les chants et les danses de la vie antillaise. Réuni sous forme d’association, il rassemble plusieurs centaines de musiciens et compte quelques uns des plus fameux « tambouillés » de la région. © Photo : Pascal Kober.

Quatre nuits durant, les habitants envahissent la place de la Victoire. Exceptionnellement, les boutiques, les lolos et les bars ne ferment pas après le coucher du soleil, des doudous s’installent au milieu de la foule pour préparer pop corn et ti’ punch, et l’on fait la fête tard dans la soirée jusque dans les plus petits villages, puisque RFO diffuse tous les concerts en direct. Voilà pour l’ambiance. Chaude. Mais qu’est ce qui fait donc danser et chanter ainsi les Guadeloupéen(ne)s ?

La programmation de Jazz à Pointe-à-Pitre (qui s’intitule également « Carrefour des musiques créoles ») relève d’un curieux amalgame entre tradition (le gwo ka), blues et soul music. Et le jazz ? Il se situe aux franges. Dans les chorus du saxophoniste de Luther Allison, au sein de la redoutable section de cuivres de Chance Orchestra ou encore dans certains arrangements d’Akiyo ou de Van Leve, deux formations antillaises davantage tentées par l’aventure et les métissages et qui citent d’ailleurs Coltrane, Miles ou Rollins parmi leurs influences. Du reste, Jacques Césaire, directeur délégué des programmes de RFO, directeur artistique du festival, et fils du poète Aimé, ne cache pas la vocation de sa manifestation : « Ce sont des approches populaires du jazz qui peuvent donner le virus aux Guadeloupéens. Il y a deux ans, ils ont découvert le blues avec Champion Jack Dupree et le dixieland avec les parades New-Orleans. Demain, si j’en attrape mille avec ce programme et que je leur colle l’envie d’écouter des disques de jazz, je serai content. »

Budget de l’opération : quatre millions de francs pour treize concerts. L’entrée, elle, est gratuite. Mais selon Philippe Flouchippe, de l’office du tourisme de la Guadeloupe, « des concerts payants ne réuniraient guère plus de mille personnes ». Là, on estime la fréquentation à environ dix mille spectateurs chaque soir. Question politique : vaut-il mieux injecter cent francs de blues par personne et par soirée dans une manifestation festive et pédagogique plutôt que quatre millions de francs dans un énième bout d’autoroute ? Comme le rappelle Jacques Césaire : « Dans ce pays, nous vivons sur une poudrière et ce festival aide à désamorcer plein de choses. »

Les téléspectateurs d’Antenne 2 se feront une opinion en regardant le reportage sur les à-côtés du festival. Pour le reste, probablement ne découvriront-ils ni les Blues Brothers, ni Nina Simone. Encore qu’il ne faudrait pas négliger le splendide travail de réalisation de Renaud Le Van Kim (enfin du jazz télévisuel qui ne tressaute pas) et du directeur de la photo Jean-Paul Favero-Longo (peut-être le plus bel éclairage jamais conçu sur un festival de jazz). Mais les plus curieux prêteront également une oreille attentive aux rythmes du gwo ka. Issue d’une barrique en bois tendue d’une peau de cabri et d’un jeu de réponses entre un chanteur soliste et ses partenaires (voire son public), cette musique n’a pas grand chose à voir avec le zouk dont on affuble trop souvent les Antilles. Le batteur, Bernard Lubat n’y est d’ailleurs pas resté insensible qui devrait jouer cet été à Uzeste avec le groupe Akiyo. Quant à la prochaine édition de Jazz à Pointe-à-Pitre, elle serait axée sur les big bands. 1993 ou 1994 ? Un conseil : réservez des maintenant vos prochaines vacances sous le blues marine de la Guadeloupe.

Pascal Kober

 

• Gwo ka, l’appel des tambours (avec Anzala, Carnot, Gaoulé et Ti Céleste).
• Voix caraïbes (avec Akiyo, Celine Fleriag et Van Leve).
• Salsa et rythm’n’blues (avec Chance Orchestra et Willie Colon).
• Nina Simone ; Etta James et Luther Allison.
• The Blues Brothers Band.
• Et un reportage de Robert Latxague sur les coulisses du festival.

Chronique publiée dans le numéro 491, daté juillet-août 1992 de la revue Jazz Hot.


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Miles Davis effusion (ou les fusions de Miles)

Miles horn norme. À évoquer le parcours du plus grand chahuteur du jazz contemporain, on discerne la plupart des aventures qui ont donné naissance à la fusion des années 1990. Depuis le groupe Sixun jusqu’au trio acoustique de John McLaughlin, depuis l’Elektric Band de Chick Corea jusqu’à la formation de Michael Brecker, tous sont redevables à Miles Davis d’une partie de la musique qu’ils inventent aujourd’hui.

Genèse. Un long silence de 1975 à 1980 et puis, The Man With The Horn. Les aficionados ne s’y retrouvent plus. Miles les a une fois de plus trahi en flirtant encore davantage avec les rythmiques binaires et les sons de la rock music. Mais à trop mettre l’accent sur cette césure, on en oublie l’essentiel : les années fusion de Miles se situent en amont.

Flash-back. Après la dissolution du premier quintet historique (avec Paul Chambers, Red Garland et Philly Jo Jones) et le départ de John Coltrane en 1961, Miles devra patienter quelques années pour remonter une formation pérenne en laquelle il puisse avoir entière confiance. Enregistrement-clé : Seven Steps To Heaven, en 1963, avec Ron Carter, George Coleman, Herbie Hancock et Tony Williams. Recommandé à Miles par Coltrane lui-même, Wayne Shorter n’est pas encore disponible. Il fait alors partie des Jazz Messengers d’Art Blakey et ne rejoindra le nouveau quintet qu’en 1964. Moyenne d’âge des musiciens : vingt-quatre ans. Ron Carter sort à peine de la Manhattan School of Music et Tony Williams n’a que dix-sept ans. Tous sont ouverts aux courants qui brassent le jazz de l’époque et en particulier au free. Mais tous sont également tempérés dans leur élan. Certes, Miles s’éloigne du be-bop et des enseignements de Dizzy Gillespie et de Charlie Parker. Mais c’est pour aller dans une direction radicalement différente de celle de Coltrane ou d’Ornette Coleman. Autre. Plus modale. Plus attachée au traitement du matériau sonore. Ses dernières expériences avec le big band de Gil Evans ne sont pas étrangères à cette nouvelle voie. Une longue et sincère amitié le lie au chef d’orchestre blanc qui incarne aussi toute la richesse de l’écriture et des arrangements complexes (le fameux voicing auquel Miles a toujours été très sensible). Résultat : le trompettiste pose là les premiers jalons de ses années fusion. Mais réunion entre quoi et quoi ? Fusion avec le blues, le rythm’n’blues, le rock, la soul music ? La formule serait trop réductrice et un brin prématurée. La fusion de Miles affirme déjà sa différence. Fusion d’abord entre lui-même et lui-même, entre Miles et Davis, entre le personnage et son itinéraire musical. Fusion génératrice d’un univers résolument original. Ces repères en construction seront aussi ceux de tous les groupes qui le suivront dans cette esthétique, de Mahavishnu à Steps Ahead. Fusion ne rimait pas encore avec électrification, mais il y avait bien, dans cette formation et dans les chorus du trompettiste, les germes du Miles d’après : déstructuration en douceur du contexte harmonique, omniprésence de la rythmique emportée à un tempo d’enfer par un Tony Williams véloce et précis, courtes phrases incisives du leader. Miles ne cache d’ailleurs pas ses influences, même si elles ne sont alors présentes qu’en filigrane dans sa musique : le free jazz, dont il sait tirer les leçons de liberté, et le rock (Jimi Hendrix et le blues, mais aussi James Brown et Sly Stone). Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si la plupart des membres de ce quintet se retrouveront plus tard dans des groupes que l’on qualifiera de jazz-rock : Herbie Hancock avec les Headhunters, Wayne Shorter avec Weather Report et Tony Williams avec Lifetime. Trois formations qui représentent le gratin du jazz fusion au début des années 1970. À cette même période, Miles franchit une autre étape. D’acoustique, sa fusion devient électrique. Enregistrement-clé : In A Silent Way, en 1969, avec Dave Holland, John McLaughlin (à la guitare électrique), Wayne Shorter, Tony Williams et Joe Zawinul (à l’orgue). Déjà en 1968, George Benson apparaissait sur Miles In The Sky, et Chick Corea et Dave Holland sur Filles de Kilimandjaro. En 1969, les percussions foisonnent avec Jim Riley (sur Bitches Brew) ou encore Khalil Balakrishna, Airto Moreira et Bihari Sharma (sur Big Fun). Le pli est pris. Fasciné par les nouveaux claviers et en particulier par le piano Fender Rhodes, Miles électrifie sa musique et bifurque encore un peu vers l’esthétique du rock, jusqu’à ses deux derniers disques de cette première période, Agharta et Pangaea, enregistrés à Osaka en 1975. La suite, les amateurs les plus récents la connaissent : de The Man With The Horn à Amandla, Miles poursuivra son œuvre iconoclaste. Jusqu’à la mort.

« Miles’s Stock Company Players ». Outre les pré-cités, de nombreux musiciens peuvent (et doivent) se prévaloir de l’école Miles Davis des années 1963-1975. D’abord (et d’évidence) Jack DeJohnette, autre pilier du quartet avec Chick Corea et Dave Holland. Mais aussi Don Alias, qui enregistre avec Miles en 1969 et sera ensuite de toutes les ouvertures du jazz, depuis l’orchestre de Mongo Santamaria jusqu’au big band de Jaco Pastorius en passant par les (très belles) dérives jazzistiques de la chanteuse Joni Mitchell. Billy Cobham encore, qui apparaît pour la première fois sur Big Fun. Al Foster (d’évidence également ; encore un batteur ; est-ce un hasard ?) présent sur l’album Big Fun enregistré en 1972 et qui croisera les itinéraires de Miles à plusieurs reprises jusqu’à Amandla en 1989. Keith Jarrett, qui rejoint Miles en 1970 sur Get Up With It. Hermeto Pascoal (le multi-instrumentiste, lutin fou du Brésil) sur Live/Evil (1970). Colin Walcott sur On The Corner (1972). Et enfin le batteur (encore un !) Lenny White qui enregistre avec Miles en 1969 et fera ensuite partie du groupe de Carlos Santana et du Return To Forever de Chick Corea. Curieusement, la plupart de ces instrumentistes qui ont compté dans les aventures de Miles ont quelque chose à voir avec le rythme. Curieusement ? Voire…

Rythmes. La clé de voûte de la fusion selon Miles. Des polyrythmies de Tony Williams aux battements plus binaires de Ricky Wellman (le drummer qui l’accompagnait en concert dans sa dernière formation), les rythmes auront été un point de mire essentiel dans les conceptions musicales de Miles. N’a-t-il pas, en 1987, viré, sans pertes mais avec fracas, son propre neveu Vincent Wilburn Jr. à qui il reprochait d’oublier le tempo ? Une grande partie des thèmes écrits durant la dernière période sont essentiellement axés sur les rythmes plutôt que sur les harmonies. L’album Decoy compte notamment deux morceaux (Freaky Deaky et What It Is) constitués pour le premier d’une seule et unique phrase de basse et pour le second de deux accords. Miles revient ainsi aux modèles de la musique modale en les enrichissant de toutes les possibilités offertes par la technologie. Dès The Man With The Horn, les parties de basse seront très souvent slappées par Marcus Miller (et davantage encore après l’arrivée de Darryl Jones). De même, les percussions sont-elles dorénavant électroniques, autorisant toutes les fantaisies rythmiques impossibles et inimaginables.

Sons. Puisque l’harmonie est souvent réduite à sa plus simple expression, seul un énorme travail sur les sons et leurs interactivités pouvait donner une identité forte à la fusion de Miles. Un thème, un accord. Certes. Mais quel thème ! Quel accord ! Quels accords enfin. Car Miles a toujours su dévoyer cette belle leçon du funk et du rythm’n’blues qui consiste à faire tourner une seule harmonie en jouant sur les riffs de cuivre, la qualité du groove et l’énergie. Là où le guitariste de James Brown ne place qu’un battement, très régulier, sur une (voire deux) position(s), John McLaughlin ou Mike Stern égrènent toutes les variations harmoniques, tous les modes, toutes les subtilités rythmiques. «  (…), je voulais retrouver un son Gil Evans en petite formation. (…)  » écrit Miles dans son autobiographie (Presse de la Renaissance) en parlant des premiers usages du synthétiseur en 1968. Jusqu’au bout, il sera fidèle à cette conception. Ouvert jusqu’au bout. Curieux de tout jusqu’au bout. Des développements de la technologie (l’échantillonnage, les boîtes à rythmes, l’informatique). Des bruitages utilisés comme matériaux musicaux. Des recherches des compositeurs modernes ou contemporains (Bernstein, Cage, Khatchaturian, Stravinsky). Ou encore des investigations un peu folles menées par le multi-instrumentiste Marcus Miller. Apparu sur l’album Tutu, lors du passage chez WEA, ce fabuleux sorcier des sons aura, durant les dernières années, une influence essentielle sur l’esthétique musicale de Miles. Moins axée sur les rythmes, au profit des climats sonores, sa fusion se fait plus sage. Le changement est très net sur Siesta, un album largement mésestimé qui représente pourtant un véritable laboratoire d’idées pour Amandla, le dernier opus milesien. Tous deux sont d’ailleurs dédié à… Gil Evans. La boucle est bouclée.

Filiations premières. Ils sont nombreux parmi les musiciens ayant participé aux toutes dernières formations de Miles Davis, à avoir été fortement marqués par cette expérience au point de partir explorer des territoires contigus à cette musique de fusion. Ainsi du saxophoniste Bob Berg qui, avec le guitariste Mike Stern, a poursuivi son périple dans un jazz très proche du rock et toujours joué à l’énergie. Autre saxophoniste, autre mœurs : après avoir quitté Miles en 1984, le saxophoniste Bill Evans fera partie de la nouvelle mouture du Mahavishnu Orchestra remonté par John McLaughlin et sacrifiera au tout-électronique avant de s’essayer à un jazz plus orthodoxe. Enfin, la percussionniste Marilyn Mazur, que l’on connait moins car elle n’a jamais enregistré avec Miles (voir son interview dans le numéro 485 de la revue Jazz Hot), se cherche une voie originale avec sa propre formation, Future Song, multinationale (au sens primaire du terme) et largement ouverte à toutes les musiques du monde.

Étapes. Aux côtés des plus grands qui ont poursuivi, d’une certaine manière, l’œuvre fusionnaire de Miles dans d’autres directions, quelques musiciens n’apparaissent qu’en de rares occasions avec le trompettiste. Après cette étape, ils emprunteront leur propre chemin, à peine détourné par ce qui peut être considéré comme une parenthèse dans leur itinéraire. Pour la période 1963-1975, il faut citer Gary Bartz (ss), Cornell Dupree (g), Sonny Fortune (saxes), Carlos Garnett (ts, ss), Steve Grossman (ss), Billy Hart (dm), Jimmy Heath (saxes), Azar Lawrence (ts), Dave Liebman (ss), Bennie Maupin (cl, saxes), Hank Mobley (saxes), Bernard Pretty Purdy (dm), Sam Rivers (ts), Sonny Sharrock (g), Lonnie Liston Smith (p), Sonny Stitt (saxes), John Stubblefield (ts, ss) ou encore Lenny White (dm). Quant à la période 1980-1991, elle semble, dans ce domaine, moins profitable aux cavaliers seuls. Probablement en raison de la relative stabilité des différentes formations de Miles. Mais aussi parce que le temps n’a pas encore fait son œuvre. Et puis, certains musiciens de cette époque ne doivent vraisemblablement être considérés que comme des sidemen que le trompettiste choisissait pour l’une de leurs qualités propres et en fonction des besoins d’un contexte changeant. Aujourd’hui, seuls John Scofield (g) et Branford Marsalis (saxes) émergent, chacun dans une direction musicale qui leur est spécifique, le second marquant plus volontiers son passage au sein des Jazz Messengers que dans l’orchestre de Miles.

Génération perdue ? Enfin, il est certains musiciens qui sont parfois restés durant une longue période avec Miles mais dont on perd ensuite plus ou moins la trace : Harvey Brooks (b), Wally Chambers (hca), Leon Chandler (perc), Peter Cosey (g, synth, perc), Dominique Gaumont (g), Michael Henderson (b), Cedric Lawson (synt) ou encore le guitariste Reggie Lucas, devenu par la suite producteur de… Madonna !

Filiations secondes. Et puis, il y a les prometteurs, les tout derniers compagnons de route de Miles, dont on ne sait pas encore quelle substantifique moelle ils vont tirer de cette aventure hors du commun : Mino Cinelu (perc), Kenny Garrett (saxes), Omar Hakim (dm, perc), Adam Holzman (p, synt), Robert Irving III (p, synt), Darryl Jones (b), Rick Margitza (saxes), Marcus Miller (b) ou encore Ricky Wellman (dm), autant de musiciens dont il faudra suivre la carrière de près afin de mieux mesurer l’impact de la fusion de Miles sur la jeune génération des jazzmen.

Pascal Kober

Portrait paru dans le numéro 489, daté mai 1992 de la revue Jazz Hot.

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Un summum d’inepties

Certains confondent concerts de jazz et rassemblements para-militaires : gros bras omniprésents, fouilles à l’entrée, photos forcément interdites, coulisses mieux gardées que Fort Knox. Paranoïa ? Non. Business. Spectateur = cochon de payant. Journaliste = emmerdeur. Ainsi, lorsque l’on veut rencontrer Pat Metheny à Grenoble lors de son passage au Summum, on se fait d’abord proprement jeter (« Le guitariste n’accorde plus d’entretien à la presse »), avant de croiser le musicien dans la salle, discutant avec son public après le concert, et acceptant fort gentiment le dialogue. Principale victime de ces organisateurs à la grosse tête, Pat Metheny lui même. Car lorsque l’on interdit à certains « journalistes » de faire leur boulot, ils inventent. Par exemple, ces quelques lignes parues dans le quotidien local, Le Dauphiné Libéré, pour annoncer la soirée : « Imaginez Lavilliers, quelques muscles en moins, mais du talent en plus, (…) et vous aurez une idée, très pâle, de ce dont Pat Metheny est capable. » Sans commentaire…

Pascal Kober

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Viktor Dvoskin live in Grenoble

Viktor Dvoskin, Moscou, Russie, 1991. Zakouska au menu. Ce lundi de février, il doit faire – 40 °C sur la place Rouge. La table du contrebassiste Viktor Dvoskin est à la fête pour me recevoir. Une étape d’une longue amitié et un bel entretien avec lui paru en mars 1992 dans la revue Jazz Hot avec mon grand reportage sur le jazz en Russie. Le pays entamait tout juste sa perestroïka et la note bleue russe me semblait encore exotique. Il faut toujours se méfier des idées reçues…

Est/Ouest. Graphie imagée de nos anciennes tensions. Avec cette barre de fraction comme une frontière. Métallique. Les typographes, amoureux de la belle lettre, lui ont toujours préféré le trait d’union. Mais qui s’est jamais préoccupé de l’opinion des hommes de l’art ?

Trait d’union

Est-Ouest. Moscou-Grenoble. Une liaison mise en musique par Viktor Dvoskin et ses complices. Lundi 19 mars 1990, au Ciel, l’histoire est déjà en route. Tu le sais bien, Viktor, toi qui, malicieux, nous présentait ainsi Hope and joy, ce thème du pianiste et compositeur moscovite Igor Brill : « Il me semble que ce titre est dans l’air du temps. »

Jazz à l’Est. J’ai su, ce jour-là, quelle musique se cachait derrière des mots si anodins. Car cette association suscite la curiosité. Et le bonheur de la découverte. L’âme slave est sensible à la note bleue. Mieux, elle la détourne. Non pour se l’approprier (le blues se chante aussi dans les taxis moscovites), mais pour la dessiner à sa manière. Avec, toujours, cette tonalité expressionniste qui lui sied si parfaitement. Combien de fois, derrière la table de mixage, ai-je écouté, encore et encore, Poljuško-pole (Plaine, ma plaine ? Même métamorphosée par la pulsation ternaire, cette ballade traditionnelle russe m’évoque trop ton pays, Victor, notre seconde rencontre à Moscou et le formidable foisonnement du jazz soviétique.

Viktor Dvoskin quartet

Ici, tu dis tes racines. Ailleurs, tu tends vers l’universel. Comme s’il fallait marquer la réalité d’un trait d’union qui a toujours existé. Certes, il nous semble aujourd’hui bien unilatéral : nous ignorions jusqu’à votre existence et vous nous citez McCoy Tyner, John Coltrane ou Niels-Henning Orsted Pedersen. Nous ne savions rien de vous, et tu nous dévoiles tes lectures de Johnny Carisi et Bill Evans. Les hagiographes qualifieront ce répertoire d’orthodoxe. N’en prends surtout pas ombrage. Ils auront simplement oublié la qualité du jeu, la richesse de l’interprétation, ce son si chaleureux, un phrasé unique, et surtout, surtout, cette générosité. Car dans ton jazz, Viktor, il y a le don. Les Russes savent la valeur, sacrée, du mot « cadeau  ».

Tu donnes et tu te donnes. Il fallait donc garder trace de ce merveilleux présent. Cette première ouverture Est-Ouest est une invitation à poursuivre la rencontre. En octobre dernier, j’ai jeté un kopeck dans la Moskva. Comme une promesse de retour en Union soviétique. Et je sais, au fond, que tu as dû faire de même ici. Pour contribuer à consolider ce fragile trait d’union.

Salut collègue,

Pascal Kober
Samedi 19 janvier 1991

Viktor Dvoskin : contrebasse
Viktor Epaneshnikov : batterie
Sergej Gurbeloshvili : saxophone soprano et ténor
Leo Kushnir : piano

Psychological compatibility (Viktor Dvoskin)
Hope and joy (Igor Brill)
Time remembered (Bill Evans)
Poljuško-pole (Lev Knipper, arrangement : Viktor Dvoskin)
Song to my mother (Leonid Tchijik)
Israel (Johnny Carisi)
Sergej’s blues (Sergej Gurbeloshvili)

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